Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/81

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intime, chaque objet en détail, les fleurs aimées les bancs le mieux caressés de la chaleur, les places marquées par des souvenirs. Elle souriait au milieu de sa confidence, avec une tristesse incrédule et pourtant reconnaissante : mais, moi, je me prenais sérieusement à cette pensée ; les moyens d'exécution se joignaient, se combinaient dans ma tête : il n'y avait que l'idée du péril où je laisserais M. de Couaën, qui me pût encore retenir. Ayant réfléchi cependant qu'une intrigue importante était alors entamée à Londres ; qu'en y passant j'y pouvais être à nos amis d'une utilité majeure ; que d'ailleurs un éclat immédiat paraissait de moins en moins probable à cause de la trêve avec l'Angleterre mêlant, je le crois bien, à ces raisons, sans me l'avouer, une obscure volonté de retour, mon dernier scrupule ne tint pas, et j'attendis de pied ferme l'occasion prévue.

Vers la fin de l'automne, en effet, un soir, sous la brume et l'ombre, il nous arriva des îles une barque avec trois hommes et de secrètes dépêches. M. de Couaën était depuis quelques jours absent chez l'ancien gouverneur de..., à plus de vingt lieues de là, trop loin pour qu'on eût le temps de le faire avertir ; car la barque repartait à la nuit suivante. On put toutefois remettre un paquet cacheté qu'il avait eu la précaution de confier à sa femme en nous quittant. Je pris langue dans le jour avec ces hommes, et il fut convenu sans peine qu'ils m'emmèneraient. l'écrivis une longue lettre, particulièrement adressée à madame de Couaën, mais de manière qu'elle me servît aussi d'explication et d'excuse auprès de lui. j'y exposais mon projet, mes sentiments envers tous deux, mon vœu profond de ne tenir désormais au monde, à l'existence, que par eux seuls ; j'y dépeignais le désordre de mon âme en termes expressifs, mais transfigurés ; j'y parlais de retour, sans date fixe, bien qu'avec certitude. Cette lettre