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ISIDORA.

releva la pécheresse et, la pressant sur son sein, elle osa baiser ses joues inondées de pleurs.



Je vais attendre Monsieur ? (Page 27.)

L’effusion d’Isidora ne connut plus de bornes ; elle était comme ivre, elle dévorait de baisers les mains de sa jeune soeur, comme elle l’appelait déjà intérieurement. « Une femme, disait-elle avec une sorte d’égarement, une amie, un ange ! ô mon Dieu ! j’en mourrai de bonheur, mais je serai sauvée ! » Son enthousiasme était si violent qu’il effraya bientôt Alice. Dans ces âmes sombres, la joie a un caractère fébrile, que les âmes tendres et chastes ne peuvent pas bien comprendre. Et cependant rien n’était plus chaste que la subite passion de cette courtisane pour l’angélique soeur qui lui rouvrait le chemin du ciel. Mais ce brusque retour à l’attendrissement et à la confiance, bouleversait son âme trop longtemps froissée. Elle ne pouvait passer de l’amer désespoir à la foi souriante qu’en traversant un accès de folie. Elle en fut tout à coup comme brisée, et se jetant sur un sopha : « J’étouffe, dit-elle, je ne suis pas habituée aux larmes, il y a si longtemps que je n’ai pleuré ! Et puis, je ne croyais pas pouvoir jamais sentir un instant de joie… Il me semble que je vais mourir. »

En effet, elle devint d’une pâleur livide, et Alice fut effrayée de voir ses dents serrées et sa respiration suspendue. Elle craignit une attaque de nerfs, et sonna précipitamment sa femme de chambre.

La femme de chambre, au lieu de venir, courut à l’appartement du jeune Félix, où se tenait Jacques Laurent dans l’attente de son sort.

L’enfant dormait, Jacques agité s’efforçait de lire. La femme de chambre le pria de se rendre auprès de madame. Tel était l’ordre qu’elle avait reçu de sa maîtresse un quart d’heure auparavant ; et, dans son émotion, Alice avait oublié que le coup de sonnette devait être le signal de cet avertissement donné à Jacques. Voilà pourquoi au bout de cinq minutes, au lieu de voir entrer sa femme de chambre, elle vit entrer Laurent.

Ou plutôt elle ne le vit pas. Il s’avançait timidement, et Alice tournait le dos à la porte par où il entra. Agenouillée près de sa belle-sœur, elle essayait de ranimer ses mains glacées. Cependant Isidora n’était point évanouie. Morne, l’œil fixe, et le sein oppressé, il semblait qu’elle fût retombée dans le désespoir, faute de puissance pour la joie. La douce Alice semblait la supplier