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JACQUES.

reuse, je le sais ; je vous connais plus que vous ne pensez. Le bracelet que vous avez cru jeter à votre mari et que je vous rendrai, si vous ne l’accordez à la sainte amitié d’un frère, est à mes yeux un gage de confiance et de salut. Pardonnez-moi de vous avoir effrayée ; j’espérais pouvoir vous parler en secret ; je vois que cela sera impossible si vous ne m’accordez vous-même cette grâce ; et vous me l’accorderez, n’est-ce pas, bel ange aux cheveux blonds ? Votre mission sur la terre est de consoler les infortunés. J’irai vous attendre ce soir sous le grand ormeau des quatre sentiers, à l’entrée du Val-Brun ; faites-vous accompagner, si vous voulez, d’une personne sûre, mais que ce ne soit pas votre mari. Il me connaît, et je me flatte de posséder son estime et son amitié ; mais en ce moment-ci il m’est contraire, et si vous ne travaillez à me justifier, je n’ai aucun espoir de rentrer en grâce. Si vous ne venez pas, je déposerai votre bracelet sous la pierre du grand ormeau ; vous l’y ferez prendre ; mais il sera teint du sang

« d’Octave. »


Avec l’homme qui tendit ma bride. (Page 44.)

Qu’en penses-tu ? que dois-je faire ? Mais à quoi sert de te le demander ? Tu ne me répondras que dans huit jours, et il faut qu’avant ce soir j’aie pris un parti. Accorder un rendez-vous à ce jeune homme, surtout quand je sais que Jacques n’est pas dans ses intérêts, pour le réconcilier avec Sylvia, c’est une grande imprudence peut-être selon le monde ; selon ma conscience je n’y vois pourtant aucun mal. S’il y a des inconvénients, il n’y en a que pour moi, qui risque de déplaire à Jacques et d’encourir ses reproches, tandis que je puis rendre, si je réussis, un service à Sylvia et à Octave, peut-être assurer le bonheur de leur vie entière ; car il n’est pas de bonheur sans l’amour. Sylvia cache en vain son chagrin ; je vois maintenant pourquoi ses pensées sont si noires et son avenir si sombre à ses yeux. Si elle a pu aimer ce jeune homme, il doit être au-dessus du commun et avoir une belle âme ; car Sylvia est bien exigeante dans ses affections, et trop fière pour avoir jamais pu s’attacher à un être qui n’en eût pas été digne. Je vois bien maintenant qu’elle a reconnu son amant dans le chasseur qu’elle a si bien corrigé de l’envie d’être prévenant avec elle,