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LE PICCININO.



Lequel de vous deux voudrait tuer son frère ? (Page 119.)

― Je suis brisé, répondit-il d’un ton ému qui fit tressaillir la princesse.

― Quoi donc ! seriez-vous malade, mon enfant ? » lui dit-elle en étendant vers lui sa main qui rencontra, dans l’obscurité, la chevelure soyeuse du jeune homme.

D’un bond il fut à ses genoux, la tête courbée et comme fasciné sous cette main qui ne le repoussait point, les lèvres collées sur un pan de cette flottante robe de soie qui ne pouvait révéler ses transports ; incertain, hors de lui, sans courage pour déclarer sa passion, sans force pour y résister.

« Michel, s’écria la princesse en laissant retomber sa main sur le front brûlant du jeune fou, vous avez la fièvre, mon enfant ! votre tête brûle !… Oui, oui, ajouta-t-elle en touchant ses joues avec une tendre sollicitude, vous avez eu trop de fatigue ces jours derniers ; vous avez veillé deux nuits de suite, et quoique vous vous soyez jeté quelques heures ce matin sur votre lit, vous n’avez peut-être pas dormi. Et moi, je vous ai fait trop parler ce soir. Il faut rentrer. Partons ; vous me laisserez à la porte de mon parc ; vous irez bien vite chez vous. Je voulais vous dire quelque chose ce soir ; mais je crains que vous ne tombiez malade ; quand vous serez tout à fait reposé, demain peut-être, je vous parlerai. »

Elle voulait se lever ; mais Michel était agenouillé sur le bas de sa robe. Il retenait contre son visage, il attirait à ses lèvres cette belle main qui ne se dérobait point à ses caresses.

« Non, non, s’écria impétueusement Michel, laissez-moi mourir ici. Je sais bien que demain vous me chasserez à jamais de votre présence ; je sais bien que je ne vous reverrai plus, maintenant que vous voyez ce qui se passe en moi. Mais il est trop tard, et je deviens fou ! Ah ! ne feignez pas de croire que je sois malade pour avoir travaillé le jour et veillé la nuit ! Ne soyez pas effrayée de découvrir la vérité : c’est votre faute, Madame, vous l’avez voulu ! Pouvais-je résister à tant de joies ? Agathe, repoussez-moi, maudissez-moi ; mais demain, mais ce soir, rendez-moi le baiser que j’ai rêvé dans la grotte de la Naïade !

― Ah ! Michel, s’écria la princesse avec un accent impossible à rendre, tu l’as donc senti ; tu m’as donc vue ? tu sais donc tout ? On te l’a dit, ou tu l’as deviné ? C’est Dieu qui le veut. Et tu crains que je ne te chasse ?