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LE PICCININO.



Ils aperçurent ceux qu’ils cherchaient. (Page 142.)

« Nous rêvons des dangers chimériques, dit-il en riant, mais s’il y en avait pour moi, il y en aurait pour ma mère ; votre place est auprès d’elle, mon ami. Je vous confie ce que j’ai de plus cher au monde !… Ne voilà-t-il pas des adieux bien solennels pour une promenade au clair de la lune jusqu’à Bel-Passo ? »

L.

MARCHE NOCTURNE.

Quand ils furent à cent pas du parc, Michel, qui voulait bien exposer son existence, mais non pas celle du fiancé de Mila dans une affaire à laquelle celui-ci était étranger et n’avait aucun devoir de conscience et de famille à remplir, pria le jeune artisan de s’en retourner à Catane. Ce n’était pas l’opinion de Fra-Angelo. Fanatique dans ses amitiés comme dans son patriotisme, il trouvait en Magnani un secours providentiel. C’était un robuste et brave champion de plus, et leur troupe était si restreinte ! Magnani valait trois hommes à lui seul ; le ciel l’avait envoyé à leur aide, il fallait profiter de son grand cœur et de son dévouement à la bonne cause.

Tout en marchant vite, ils discutèrent chaudement. Michel reprochait au moine son prosélytisme inhumain en cette circonstance ; le moine reprochait à Michel de ne pas vouloir les moyens en voulant la fin. Magnani termina ce débat par une fermeté invincible. « J’ai très-bien compris dès l’abord, dit-il, que Michel s’engageait dans une affaire plus sérieuse qu’on ne le disait à sa mère. Mon parti a été pris. J’ai fait à madame Agathe, en un autre moment, une promesse sacrée : c’est de ne jamais abandonner son fils à un danger que je pourrais partager avec lui. Je tiens à mon serment, et, que Michel le veuille ou non, je le suivrai où il ira. Je ne vois pas qu’il y ait d’autre moyen de m’en empêcher que de me faire sauter la cervelle ici. Choisissez, d’endurer ma société ou de me tuer, Michel…

― C’est bien ! c’est bien ! dit le moine ; mais silence, enfants ! Le pays se couvre, et il ne faut point parler le long des enclos. D’ailleurs, on marche moins vite quand on dispute. Ah ! Magnani, tu es un homme ! »

Magnani marchait au danger avec une bravoure froide et triste. Il ne se sentait point complétement heureux par l’amour ; un besoin d’émotions violentes le poussait au hasard, vers quelque but extrême qui lui apparaissait vaguement comme une transformation de son existence présente et une rupture décisive avec les incertitudes et les langueurs de son âme.