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LA DERNIÈRE ALDINI.

rosier qui se trouvait là, et qu’il écrasait de tout son poids. Je ne m’attendais pas du tout à vous retrouver ici ; je vous croyais à Naples.

— Que vous l’ayez cru ou non, peu importe. Vous voici, et me voici. De quoi s’agit-il ?

— Pardieu, mon cher, il s’agit de m’aider à retrouver ma cousine Alezia Aldini, qui se permet de courir seule à cheval sans la permission de ma mère, et qui, m’a-t-on dit, est par ici.

— Qu’entendez-vous par ce mot : par ici ? Si vous pensez que la personne dont vous parlez soit dans les environs, suivez la rue, cherchez.

— Mais que diable, mon cher, elle est ici ! dit Hector forcé par le ton de Nasi et par la présence de ses témoins de se prononcer un peu plus nettement. Elle est dans votre maison ou dans votre jardin ; car l’on l’a vue entrer dans votre avenue, et, sang de Dieu ! voilà son cheval là-bas ! c’est-à-dire mon cheval ; car il lui a plu de le prendre pour courir les champs, et de me laisser sa haquenée. » Et il essayait par un gros rire forcé d’égayer un entretien que Nasi ne semblait pas disposé à traiter si gaiement.

« Monsieur, répondit-il, je n’ai pas l’honneur de vous connaître assez pour que vous m’appeliez mon cher ; je vous prie donc de me traiter comme je vous traite. Ensuite, je vous ferai observer que ma maison n’est point une auberge, ni mon jardin une promenade publique, pour que les passants se permettent de l’explorer.

— Ma foi, Monsieur, si vous n’êtes pas content, dit Hector, j’en suis fâché. Je croyais vous connaître assez pour me permettre d’entrer chez vous, et je ne savais pas que votre maison de campagne fût un château-fort.

— Telle qu’elle est, monsieur, palais, ou chaumière, j’en suis le maître, et je vous prie de vous tenir pour averti que personne n’y entre sans ma permission.

— Par Bacchus ! monsieur le comte, vous avez bien peur que je vous demande la permission d’entrer chez vous ; car vous me la refusez d’avance avec une aigreur qui me donne beaucoup à penser. Si, comme je le crois, Alezia Aldini est dans cette maison, je commence à espérer pour elle qu’elle y est venue pour vous ; donnez-m’en l’assurance, et je me retire satisfait.

— Je ne reconnais à personne, Monsieur, répondit Nasi, le droit de m’adresser aucune espèce de questions ; et à vous, moins qu’à tout autre, celui de m’interroger sur le compte d’une femme que votre conduite outrage en cet instant.

— Eh ! mordieu, je suis son cousin ! Elle est confiée à ma mère ; que voulez-vous que ma mère réponde à mon oncle, le prince Grimani, lorsqu’il lui demandera sa belle-fille ? Et comment voulez-vous que ma mère, qui est âgée et infirme, coure après une jeune écervelée qui monte à cheval comme un dragon ?

— Je suis certain, Monsieur, dit Nasi, que madame votre mère ne vous a pas chargé de chercher sa nièce d’une manière aussi bruyante, et de la demander à tout venant d’une manière aussi déplacée ; car, dans ce cas, sa sollicitude serait un outrage plus qu’une protection, et mettre l’objet d’une telle protection à l’abri de votre zèle serait un devoir pour moi.

— Allons, dit Hector, je vois que vous ne voulez pas nous rendre notre fugitive. Vous êtes un chevalier des anciens temps, monsieur le comte ! Souvenez-vous que désormais ma mère est déchargée de toute responsabilité envers la mère de mademoiselle Aldini. Vous arrangerez cette affaire désagréable comme vous l’entendrez pour votre propre compte. Quant à moi, je m’en lave les mains, j’ai fait ce que je devais et ce que je pouvais. Je vous prierai seulement de dire à Alezia Aldini qu’elle est bien libre d’épouser qui bon lui semblera, et que pour ma part je n’y mettrai pas d’obstacle. Je vous cède mes droits, mon cher comte ; puissiez-vous n’avoir jamais à chercher votre femme dans la maison d’autrui, car vous voyez par mon exemple combien on y fait sotte figure.

— Beaucoup de gens pensent, monsieur le comte, répondit Nasi, qu’il y a toujours moyen d’ennoblir la position la plus fâcheuse et de faire respecter la plus ridicule. Il n’y a de sottes figures que là où il y a de sottes démarches. »

À cette réponse sévère, un murmure significatif des deux amis fit sentir à Hector qu’il ne pouvait plus reculer.

« Monsieur le comte, dit-il à Nasi, vous parlez de sottes démarches. Qu’appelez-vous sottes démarches, je vous prie ?

— Vous donnerez à mes paroles l’explication que vous voudrez, Monsieur.

— Vous m’insultez, Monsieur !

— C’est vous qui en êtes juge, monsieur. Pour moi, cela ne me regarde pas.

— Vous me rendrez raison, je présume ?

— Fort bien, Monsieur.

— Votre heure ?

— Celle que vous voudrez.

— Demain matin à huit heures dans la prairie de Maso, si vous le voulez bien, Monsieur. Mes témoins seront ces messieurs.

— Très-bien, Monsieur ; mon ami que voici sera le mien. »

Hector me regarda avec un sourire de dédain, et, emmenant à l’écart Nasi avec ses deux compagnons, il lui dit :

« Ah çà, mon cher comte, permettez-moi de vous dire que c’est pousser la plaisanterie trop loin. Maintenant qu’il s’agit de se battre, il faudrait, ce me semble, un peu de sérieux. Mes témoins sont gens de qualité : monsieur est le marquis de Mazzorbo, et voici monsieur de Monteverbasco. Je ne pense pas que vous puissiez leur associer comme témoin ce monsieur à qui j’ai fait donner vingt francs l’autre jour pour avoir accordé un piano chez ma mère. Vraiment, je n’y conçois rien. Hier on découvre que ce monsieur a une intrigue avec ma cousine, et aujourd’hui vous nous dites que c’est votre ami intime. Veuillez nous dire au moins son nom.

— Vous vous trompez positivement, monsieur le comte. Ce monsieur, comme vous dites, n’accorde point de pianos, et n’a jamais mis le pied chez votre cousine. C’est le signor Lélio, l’un de nos plus grands artistes, et l’un des hommes les plus braves et les plus loyaux que je connaisse. »

J’avais entendu confusément le commencement de cette conversation, et, voyant qu’il s’agissait de moi, je m’étais rapproché assez rapidement. Quand j’entendis le comte Hector parler tout haut d’une intrigue à propos d’Alezia, la mauvaise humeur où m’avait mis ce combat engagé sans moi se changea en colère, et je résolus de faire payer à quelqu’un de nos adversaires la fausseté de ma position. Je ne pouvais m’en prendre au comte Hector, déjà provoqué par Nasi ; ce fut sur M. de Monteverbasco que tomba l’orage. Le digne gentillâtre, en apprenant mon nom, s’était contenté de dire d’un air étonné :

« Tiens ! »

Je m’approchai de lui, et le regardant en face d’un air menaçant :

« Que voulez-vous dire, Monsieur ?

— Moi, Monsieur, je n’ai rien dit.

— Pardonnez-moi, Monsieur, vous avez dit : C’est encore pire.

— Non, Monsieur, je ne l’ai pas dit.

— Si, Monsieur, vous l’avez dit.

— Si vous y tenez absolument, Monsieur, mettons que je l’ai dit.

— Ah ! vous en convenez enfin. Eh bien ! Monsieur, si vous ne me trouvez pas bon pour témoin, je saurai bien vous forcer à me trouver bon pour adversaire.

— Est-ce une provocation, Monsieur ?

— Monsieur, ce sera tout ce qu’il vous plaira. Mais je vous avertis que votre nom ne me revient pas, et que votre figure me déplaît.

— C’est bien, monsieur ; nous prendrons donc, si cela vous convient, le rendez-vous de ces messieurs.

— Parfaitement. Messieurs, j’ai l’honneur de vous saluer. »

Après quoi nous rentrâmes, Nasi et moi, dans la maison, non sans avoir recommandé le silence aux domestiques.

La conduite d’Hector Grimani en cette occurrence me