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LE PICCININO.

― En ce cas, vous avez l’autre, Mila.

― Quel autre ? En avez-vous un aussi ? Je n’en sais rien ; mais celui-ci est à moi : c’est le chiffre de la princesse, c’est mon bien, c’est ma relique. Reprenez vos cheveux, si nous sommes brouillés, je le veux bien ; mais le bijou ne me quittera plus jamais. »

Et elle le remit dans son sein, fort peu décidée à ôter les cheveux, auxquels elle tenait plus qu’elle ne voulait en convenir dans son dépit enfantin.

Michel retourna dans sa chambre. L’autre médaillon devait s’y trouver. Mila avait tant d’assurance et de conviction dans sa physionomie et dans ses paroles ! Mais il ne trouva rien, et résolut de fouiller la chambre de sa sœur aussitôt qu’elle serait sortie. En attendant, il essaya de se réconcilier avec elle. Il lui adressa de douces cajoleries, et, jurant que tout ce qui s’était passé n’était qu’une plaisanterie de sa part, il lui reprocha d’être fière et susceptible.

Mila consentit à faire la paix et à embrasser son frère ; mais elle resta un peu triste, et ses belles joues étaient colorées d’un rose moins doux que de coutume.

« Tenez, lui dit-elle, vous avez mal pris votre temps pour me tourmenter ; il est des jours où l’on se sent pas disposé à supporter la raillerie, et j’ai cru que vous le faisiez exprès pour vous moquer de mes chagrins.

― Tes chagrins, Mila ? s’écria Michel en la pressant sur son cœur avec un sourire, tu as des chagrins, toi ? Pour n’avoir pas vu le bal cette nuit, n’est-ce pas ? Oh ! en effet, tu es une petite fille bien malheureuse !

― D’abord, Michel, je ne suis pas une petite fille. J’ai quinze ans bientôt, et je suis en âge d’avoir des chagrins. Quant au bal, je m’en souciais fort peu ; et, maintenant qu’il est fini, je n’y pense plus.

― Eh bien, quel est donc ce grand chagrin ? voudrais-tu une robe neuve ?

― Non.

― Ton rossignol n’est pas mort ?

― Est-ce que vous ne l’entendez pas chanter ?

― Le gros matou de notre voisin Magnani a peut-être croqué ta tourterelle ?

― Je voudrais bien qu’il en eût la pensée ! Je vous dis que je ne m’occupe ni de M. Magnani, ni de son chat. »

Le ton dont elle prononça le nom de Magnani fit ouvrir l’oreille à Michel, et, en regardant le visage de sa petite sœur, il vit qu’elle avait les yeux attachés, non sur son ouvrage, quoiqu’elle eût la tête baissée, mais sur une galerie de bois où Magnani travaillait ordinairement, en face de la chambre de Mila. En ce moment, Magnani traversait la galerie. Il ne regardait pas la fenêtre de Mila, et Mila ne regardait pas son ouvrage.

« Mila, mon cher ange, lui dit Michel en prenant ses deux mains et en les baisant, vous voyez bien ce jeune homme qui passe d’un air distrait ?

― Eh bien, répondit Mila, pâlissant et rougissant tour à tour, qu’est-ce que cela me fait ?

― C’est pour vous dire, mon enfant, que si jamais votre cœur avait besoin d’aimer, ce n’est pas à ce jeune homme-là qu’il faudrait songer.

― Quelle folie ! dit la petite en hochant la tête et en s’efforçant de rire. C’est bien le dernier auquel je songerais, vraiment !

― Alors, vous auriez grandement raison, reprit Michel, car le cœur de Magnani n’est pas libre, il y a longtemps qu’il aime une autre femme.

― Cela ne me regarde point et ne m’intéresse nullement, répondit Mila ; » et, baissant le front sur son ouvrage, elle tourna son rouet avec rapidité. Mais Michel vit avec douleur deux grosses larmes tomber sur son écheveau de soie vierge.

Michel avait une grande délicatesse de cœur. Il comprit la honte qui accablait sa jeune sœur, et qui ajoutait une nouvelle souffrance à celle de son âme froissée. Il vit les efforts surhumains que faisait la pauvre enfant pour étouffer ses sanglots et surmonter sa confusion. Il sentit que ce n’était pas le moment de l’humilier davantage en provoquant une explication.

Il feignit donc de ne rien voir, et, se promettant de la raisonner lorsqu’elle serait plus maîtresse d’elle-même, il sortit de la chambre où elle travaillait.

Mais il était si agité lui-même qu’il ne put tenir dans la sienne. Il se livra à une dernière et inutile perquisition, et, renonçant à mettre la main sur le talisman disparu, espérant le voir reparaître au moment où il y songerait le moins, comme il arrive souvent des objets perdus, il résolut d’aller trouver Magnani pour se réconcilier avec lui ; car ils s’étaient séparés avec humeur, et Michel ne pouvant plus se défendre du secret orgueil d’être follement aimé de la princesse, éprouvait un redoublement de sollicitude généreuse pour son infortuné rival.

Il traversa la cour et entra au rez-de-chaussée, dans l’atelier du père de Magnani. Mais il chercha en vain Antonio jusque dans sa chambre. Sa vieille mère lui dit qu’il venait de sortir un instant auparavant, et ne put lui apprendre quelle direction il avait prise. Michel sortit alors dans la campagne, moitié songeant à le rejoindre, moitié plongé dans ses propres rêveries.

De son côté, Magnani, poussé par le même sentiment de sympathie et de loyauté, avait résolu d’aller trouver Michel. Son modeste logis avait une seconde issue, et celle qu’il avait prise conduisait moins directement, par un passage étroit et sombre, situé sur les derrières des deux maisons mitoyennes, à la maison pauvre et antique qu’habitait Pier-Angelo avec ses enfants.

Les deux jeunes gens ne pouvaient donc pas se rencontrer. Magnani monta et regarda dans une grande pièce nue et délabrée, où il vit Pier-Angelo étendu sur son grabat, et se livrant à un repos que ne troublaient plus les émotions de l’amour et de la jeunesse.

Magnani prit alors l’escalier, ou plutôt l’échelle de bois qui conduisait aux mansardes, et pénétra dans la chambre de Michel, contiguë à celle de Mila.

La porte de Michel était restée ouverte ; Magnani entra, et, ne trouvant personne, il allait sortir, lorsque le cyclamen, que Michel avait mis précieusement dans un vieux verre de Venise bizarrement travaillé, frappa ses regards. Certes, Magnani était la probité en personne, l’honneur scrupuleux incarné ; pourtant il n’est pas certain que, s’il eût présumé que cette fleur s’était détachée du bouquet de la princesse, il ne l’eût pas dérobée.

Mais il ne le devina pas, et se borna à remarquer que Michel aussi rendait un culte au cyclamen.

Tout à coup Magnani fut tiré de sa contemplation par un bruit qui le fit tressaillir. On pleurait dans la chambre voisine. Des sanglots étouffés, mais poignants, retentissaient faiblement derrière la cloison, non loin de la porte qui séparait les chambres des deux enfants de Pier-Angelo. Magnani savait bien que Mila demeurait à cet étage. Il l’avait bien souvent saluée, en souriant, de sa galerie, lorsqu’il la voyait, brillante de jeunesse et de beauté, à sa fenêtre. Mais, comme elle n’avait fait aucune impression sur son cœur, et qu’il ne lui avait jamais parlé que comme à un enfant, il ne se rendit pas compte, en cet instant, de la situation de sa mansarde, et même il ne pensa point à elle. Sa manière de pleurer n’avait rien de mâle, à coup sûr, mais Michel avait dans la voix des accents si jeunes et si doux, que ce pouvait bien être lui qui gémissait ainsi. Magnani ne songea qu’à son jeune camarade, et, plein de sollicitude, il poussa vivement la porte et entra dans la chambre de Mila.

À son apparition, la jeune fille fit un grand cri et s’enfuit au fond de sa chambre en cachant son visage.

« Mila, chère petite voisine, s’écria le bon Magnani en restant respectueusement près de la porte, pardonnez-moi, n’ayez aucune peur de moi. Je me suis trompé, j’ai entendu pleurer à fendre le cœur, j’ai cru que c’était votre frère… Je n’ai pas réfléchi, je suis entré plein d’inquiétude… mais, mon Dieu, pourquoi pleurez-vous ainsi, chère enfant ?

― Je ne pleure pas, répondit Mila en essuyant ses yeux à la dérobée et en feignant de chercher quelque chose dans un vieux meuble accolé à la muraille ; vous vous êtes tout à fait trompé. Je vous remercie, monsieur Magnani ; mais, laissez-moi, vous ne devez pas entrer ainsi dans ma chambre.