Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, 1854.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
89
LE PICCININO.

avec l’espoir d’être votre femme ; mais je ne suis ni menteuse ni coquette. J’aime, et comme j’ai confiance en vous, je vous le dis. Je sais que cela ne peut vous faire aucune peine, puisque vous avez renoncé au mariage, et que vous détestez toutes les femmes, hormis une seule qui n’est pas moi. »



Elle lui présenta son aiguière. (Page 91.)

Magnani ne répondit rien. Le cordonnier chantait toujours. « Il est dans ma destinée, pensait Magnani, de n’être aimé d’aucune femme et de ne pouvoir guérir. »

Mila, inspirée par l’espèce de divination que l’amour donne aux femmes, même sans expérience et sans lecture, se disait avec raison que Magnani, étant stimulé dans sa passion par la souffrance et le manque d’espoir, serait effrayé et révolté à l’idée d’une affection qui s’offrirait à lui, facile et provoquante ; en conséquence, elle lui montrait son cœur comme invulnérable et préservé de lui par une autre inclination. C’était le prendre par la douleur, et c’était là la seule manière de le prendre, en effet. En le faisant changer de supplice, elle préparait sa guérison.

« Mila, lui dit-il enfin, en lui montrant une grosse bague d’or ciselé qu’il avait au doigt et qu’elle avait déjà remarquée, pouvez-vous m’apprendre d’où me vient ce riche présent ?

― Cela ? dit-elle en regardant la bague avec un feint étonnement. Il m’est impossible de vous en rien dire… Mais, je n’entends plus votre voisin, adieu. Tenez, Magnani, vous avez l’air bien fatigué. Vous reposiez quand je suis entrée, vous feriez bien de reposer encore un peu. Il n’y a de danger pour aucun de nous dans ce moment-ci. Il n’y en a pas pour moi, puisque mon père et mon frère sont debout. Il n’y en a pas pour eux, puisqu’il fait grand jour et que la maison est pleine de monde. Dormez, mon brave voisin. Ne fût-ce qu’une heure, cela vous rendra la force de recommencer votre rôle de gardien de la famille.

― Non, non, Mila. Je ne dormirai pas, et je n’en aurai même plus envie ; car, quoi que vous en disiez, il se passe encore dans cette maison des choses bizarres, inexplicables. J’avoue que, lorsque le jour commençait à poindre, j’ai eu un instant d’engourdissement. Vous reposiez, vous étiez enfermée, l’homme au manteau était parti. J’étais assis sous votre galerie, me disant que le premier pas qui l’ébranlerait me réveillerait vite si je