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LA PETITE FADETTE.

pas mine du s’en apercevoir et s’en fut sans regarder derrière lui.



C’était un soir que la petite Fadette rentrait ses oies. (Page 15)

Toutes les autres fois que Landry rencontra la petite Fadette, ce fut à peu près de même. Peu à peu, il s’enhardit à la regarder ; car, à mesure que l’âge et la raison lui venaient, il ne s’inquiétait plus tant d’une si petite affaire. Mais lorsqu’il eut pris le courage de la regarder tranquillement, comme pour attendre n’importe quelle chose elle voudrait lui dire, il fut étonné de voir que cette fille faisait exprès de tourner la tête d’un autre côté, comme si elle eût eu de lui la même peur qu’il avait d’elle. Cela l’enhardit tout à fait vis-à-vis de lui-même, et, comme il avait le cœur juste, il se demanda s’il n’avait pas eu grand tort de ne jamais la remercier du plaisir que, soit par science, soit par hasard, elle lui avait causé. Il prit la résolution de l’aborder la première fois qu’il la verrait, et ce moment-là étant venu, il fit au moins dix pas de son côté pour commencer à lui dire bonjour et à causer avec elle.

Mais, comme il s’approchait, la petile Fadette prit un air fier et quasi fâché ; et se décidant enfin à le regarder, elle le fit d’une manière si méprisante, qu’il en fut tout démonté et n’osa point lui porter la parole.

Ce fut la dernière fois de l’année que Landry la rencontra de près, car à partir de ce jour-là, la petite Fadette, menée par je ne sais pas quelle fantaisie, l’évita si bien, que du plus loin qu’elle le voyait, elle tournait d’un autre côté, entrait dans un héritage, ou faisait un grand détour pour ne point le voir. Landry pensa qu’elle était fâchée de ce qu’il avait été ingrat envers elle ; mais sa répugnance était si grande qu’il ne sut se décider à rien tenter pour réparer son tort. La petite Fadette n’était pas un enfant comme un autre. Elle n’était pas ombrageuse de son naturel, et même, elle ne l’était pas assez, car elle aimait à provoquer les injures ou les moqueries, tant elle se sentait la langue bien affilée pour y répondre et avoir toujours le dernier et le plus piquant mot. On ne l’avait jamais vue bouder et on lui reprochait de manquer de la fierté qui convient à une fillette lorsqu’elle prend déjà quinze ans et commence à se ressentir d’être quelque chose. Elle avait toujours les allures d’un gamin, mêmement elle affectait de tourmenter souvent Sylvinet, de le déranger et de le pousser à bout, lorsqu’elle le surprenait dans les rêvasseries où il s’oubliait encore quelquefois. Elle le suivait toujours pendant un bout de chemin,