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LA PETITE FADETTE.

Fadet, fadet, petit fadet,
Prends ta chandelle et ton cornet ;
J’ai pris ma cape et mon capet ;
Toute follette a son follet.

Et tout aussitôt la petite Fadette, qui s’apprêtait gaiement à passer l’eau sans montrer crainte ni étonnement du feu follet, heurta contre Landry, qui était assis par terre dans la brune, et se retira en jurant ni plus ni moins qu’un garçon, et des mieux appris.

— C’est moi, Fanchon, dit Landry en se relevant, n’aie pas peur. Je ne te suis pas ennemi.

Il parlait comme cela parce qu’il avait peur d’elle presque autant que du follet. Il avait entendu sa chanson, et voyait bien qu’elle faisait une conjuration au feu follet, lequel dansait et se tortillait comme un fou devant elle et comme s’il eût été aise de la voir.

— Je vois bien, beau besson, dit alors la petite Fadette après qu’elle se fut consultée un peu, que tu me flattes, parce que tu es moitié mort de peur, et que la voix te tremble dans le gosier ni plus ni moins qu’à ma grand’mère. Allons, pauvre cœur, la nuit on n’est pas si fier que le jour, et je gage que tu n’oses passer l’eau sans moi.

— Ma foi, j’en sors, dit Landry, et j’ai manqué de m’y noyer. Est-ce que tu vas t’y risquer, Fadette ? Tu ne crains pas de perdre le gué ?

— Eh ! pourquoi le perdrais-je ? Mais je vois bien ce qui t’inquiète, répondit la petite Fadette en riant. Allons, donne-moi la main, poltron ; le follet n’est pas si méchant que tu crois, et il ne fait de mal qu’à ceux qui s’en épeurent. J’ai coutume de le voir, moi, et nous nous connaissons.

Là-dessus, avec plus de force que Landry n’eût supposé qu’elle en avait, elle le tira par le bras et l’amena dans le gué en courant et en chantant :

J’ai pris ma cape et mon capet,
Toute fadette a son fadet.

Landry n’était guère plus à son aise dans la société de la petite sorcière que dans celle du follet. Cependant, comme il aimait mieux voir le diable sous l’apparence d’un être de sa propre espèce que sous celle d’un feu si sournois et si fugace, il ne fit pas de résistance, et il fut tôt rassuré en sentant que la Fadette le conduisait si bien, qu’il marchait à sec sur les cailloux. Mais comme ils marchaient vite tous les deux et qu’ils ouvraient un courant d’air au feu follet, ils étaient toujours suivis de ce météore, comme l’appelle le maître d’école de chez nous, qui en sait long sur cette chose-là, et qui assure qu’on n’en doit avoir nulle crainte.

XIII.

Peut-être que la mère Fadet avait aussi de la connaissance là-dessus, et qu’elle avait enseigné à sa petite-fille à ne rien redouter de ces feux de nuit ; ou bien, à force d’en voir, car il y en avait souvent aux entours du gué des Roulettes, et c’était un grand hasard que Landry n’en eût point encore vu de près, peut-être la petite s’était-elle fait une idée que l’esprit qui les soufflait n’était point méchant et ne lui voulait que du bien. Sentant Landry qui tremblait de tout son corps à mesure que le follet s’approchait d’eux :

— Innocent, lui dit-elle, ce feu-là ne brûle point, et si tu étais assez subtil pour le manier, tu verrais qu’il ne laisse pas seulement sa marque.

— C’est encore pis, pensa Landry ; du feu qui ne brûle pas, on sait ce que c’est : ça ne peut pas venir de Dieu, car le feu du bon Dieu est fait pour chauffer et briller.

Mais il ne fit pas connaître sa pensée à la petite Fadette, et quand il se vit sain et sauf à la rive, il eut grande envie de la planter là et de s’ensauver à la Bessonnière. Mais il n’avait point le cœur ingrat, et il ne voulut point la quitter sans la remercier.

— Voilà la seconde fois que tu me rends service, Fanchon Fadet, lui dit-il, et je ne vaudrais rien si je ne te disais pas que je m’en souviendrai toute ma vie. J’étais là comme fou quand tu m’as trouvé ; le follet m’avait vanné et charmé. Jamais je n’aurais passé la rivière, ou bien je n’en serais jamais sorti.

— Peut-être bien que tu l’aurais passée sans peine ni danger si tu n’étais pas si sot, répondit la Fadette ; je n’aurais jamais cru qu’un grand gars comme toi, qui est dans ses dix-sept ans, et qui ne tardera pas à avoir de la barbe au menton, fût si aisé à épeurer, et je suis contente de te voir comme cela.

— Et pourquoi en êtes-vous contente, Fanchon Fadet ?

— Parce que je ne vous aime point, lui dit-elle d’un ton méprisant.

— Et pourquoi est-ce encore que vous ne m’aimez point ?

— Parce que je ne vous estime point, répondit-elle ; ni vous, ni votre besson, ni vos père et mère, qui sont fiers parce qu’ils sont riches, et qui croient qu’on ne fait que son devoir en leur rendant service. Ils vous ont appris à être ingrat, Landry, et c’est le plus vilain défaut pour un homme, après celui d’être peureux.

Landry se sentit bien humilié des reproches de cette petite fille, car il reconnaissait qu’ils n’étaient pas tout à fait injustes, et il lui répondit :

— Si je suis fautif, Fadette, ne l’imputez qu’à moi. Ni mon frère, ni mon père, ni ma mère, ni personne chez nous n’a eu connaissance du secours que vous m’avez déjà une fois donné. Mais pour cette fois-ci, ils le sauront, et vous aurez une récompense telle que vous la désirerez.

— Ah ! vous voilà bien orgueilleux, reprit la petite Fadette, parce que vous vous imaginez qu’avec vos présents vous pouvez être quitte envers moi. Vous croyez que je suis pareille à ma grand’mère, qui, pourvu qu’on lui baille quelque argent, supporte les malhonnêtetés et les insolences du monde. Eh bien, moi je n’ai besoin ni envie de vos dons, et je méprise tout ce qui viendrait de vous, puisque vous n’avez pas eu le cœur de trouver un pauvre mot de remerciement et d’amitié à me dire depuis tantôt un an que je vous ai guéri d’une grosse peine.

— Je suis fautif, je l’ai confessé, Fadette, dit Landry, qui ne pouvait s’empêcher d’être étonné de la manière dont il l’entendait raisonner pour la première fois. Mais c’est qu’aussi il y a un peu de ta faute. Ce n’était pas bien sorcier de me faire retrouver mon frère, puisque tu venais sans doute de le voir pendant que je m’expliquais avec ta grand’mère ; et si tu avais vraiment le cœur bon, toi qui me reproches de ne l’avoir point, au lieu de me faire souffrir et attendre, et au lieu de me faire donner une parole qui pouvait me mener loin, tu m’aurais dit tout de suite : « Dévalle le pré, et tu le verras au rivet de l’eau. » Cela ne t’aurait point coûté beaucoup, au lieu que tu t’es fait un vilain jeu de ma peine ; et voilà ce qui a mandré le prix du service que tu m’as rendu.

La petite Fadette, qui avait pourtant la repartie prompte, resta pensive un moment. Puis elle dit :

— Je vois bien que tu as fait ton possible pour écarter la reconnaissance de ton cœur, et pour t’imaginer que tu ne m’en devais point, à cause de la récompense que je m’étais fait promettre. Mais, encore un coup, il est dur et mauvais, ton cœur, puisqu’il ne t’a point fait observer que je ne réclamais rien de toi, et que je ne te faisais pas même reproche de ton ingratitude.

— C’est vrai, ça, Fanchon, dit Landry qui était la bonne foi même ; je suis dans mon tort, je l’ai senti, et j’en ai eu de la honte ; j’aurais dû te parler ; j’en ai eu l’intention, mais tu m’as fait une mine si courroucée que je n’ai point su m’y prendre.

— Et si vous étiez venu le lendemain de l’affaire me dire une parole d’amitié, vous ne m’auriez point trouvée courroucée ; vous auriez su tout de suite que je ne voulais point de paiement, et nous serions amis : au lieu qu’à cette heure, j’ai mauvaise opinion de vous, et j’aurais dû vous laisser débrouiller avec le follet comme vous auriez pu. Bonsoir, Landry de la Bessonnière ; allez sécher vos habits ; allez dire à vos parents : « Sans ce petit guenillon