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LA PETITE FADETTE.

donner votre parole d’honneur que Landry n’a point été informé par vous, ou par quelque autre, de ce qui en est ?

— Je vous la donne, dit la Fadette. Aussi vrai que j’aime Dieu, vous êtes, après moi, la seule personne au monde qui ait connaissance de cette chose-là.

— Et, pour ce qui est de l’amour de Landry, pensez-vous, Fanchon, qu’il vous l’ait conservé ? et avez-vous reçu, depuis le décès de votre grand’mère, quelque marque qu’il ne vous ait point été infidèle ?

— J’ai reçu la meilleure marque là-dessus, répondit-elle ; car je vous confesse qu’il est venu me voir trois jours après le décès, qu’il m’a juré qu’il mourrait de chagrin, ou qu’il m’aurait pour sa femme.

— Et vous, Fadette, que lui répondiez-vous ?

— Cela, père Barbeau, je ne serais pas obligée de vous le dire ; mais je le ferai pour vous contenter. Je lui répondais que nous avions encore le temps de songer au mariage, et que je ne me déciderais pas volontiers pour un garçon qui me ferait la cour contre le gré de ses parents.

Et comme la pelite Fadette disait cela d’un ton assez fier et dégagé, le père Barbeau en fut inquiet. — Je n’ai pas le droit de vous interroger, Fanchon Fadet, dit-il, et je ne sais point si vous avez l’intention de rendre mon fils heureux ou malheureux pour toute sa vie ; mais je sais qu’il vous aime terriblement, et si j’étais en votre lieu, avec l’idée que vous avez d’être aimée pour vous-même, je me dirais : Landry Barbeau m’a aimée quand je portais des guenilles, quand tout le monde me repoussait, et quand ses parents eux-mêmes avaient le tort de lui en faire un grand péché. Il m’a trouvée belle quand tout le monde me déniait l’espérance de le devenir ; il m’a aimée en dépit des peines que cet amour-là lui suscitait ; il m’a aimée absente comme présente : enfin, il m’a si bien aimée que je ne peux pas me méfier de lui, et que je n’en veux jamais avoir d’autre pour mari.

— Il y a longtemps que je me suis dit tout cela, père Barbeau, répondit la petite Fadette ; mais, je vous le répète, j’aurais la plus grande répugnance à entrer dans une famille qui rougirait de moi et ne céderait que par faiblesse et compassion.

— Si ce n’est que cela qui vous retient, décidez-vous, Fanchon, reprit le père Barbeau ; car la famille de Landry vous estime et vous désire. Ne croyez point qu’elle a changé parce que vous êtes riche. Ce n’est point la pauvreté qui nous répugnait de vous, mais les mauvais propos tenus sur votre compte. S’ils avaient été bien fondés, jamais, mon Landry eût-il dû en mourir, je n’aurais consenti à vous appeler ma bru ; mais j’ai voulu avoir raison de tous ces propos-là ; j’ai été à Château-Meillant tout exprès ; je me suis enquis de la moindre chose dans ce pays-là et dans le nôtre, et maintenant je reconnais qu’on m’avait menti et que vous êtes une personne sage et honnête, ainsi que Landry l’affirmait avec tant de feu. Par ainsi, Fanchon Fadet, je viens vous demander d’épouser mon fils, et si vous dites oui, il sera ici dans huit jours.

Cette ouverture, qu’elle avait bien prévue, rendit la petite Fadette bien contente ; mais ne voulant pas trop le laisser voir, parce qu’elle voulait à tout jamais être respectée de sa future famille, elle n’y répondit qu’avec ménagement. Et alors le père Barbeau lui dit :

— Je vois, ma fille, qu’il vous reste quelque chose sur le cœur contre moi et contre les miens. N’exigez pas qu’un homme d’âge vous fasse des excuses ; contentez-vous d’une bonne parole, et, quand je vous dis que vous serez aimée et estimée chez nous, rapportez-vous-en au père Barbeau, qui n’a encore trompé personne. Allons, voulez-vous donner le baiser de paix au tuteur que vous vous étiez choisi, ou au père qui veut vous adopter ?

La petite Fadette ne put se défendre plus longtemps ; elle jeta ses deux bras autour du cou du père Barbeau ; et son vieux cœur en fut tout réjoui.

XXXVII.

Leurs conventions furent bientôt faites. Le mariage aurait lieu sitôt la fin du deuil de Fanchon ; il ne s’agissait plus que de faire revenir Landry ; mais quand la mère Barbeau vint voir Fanchon le soir même, pour l’embrasser et lui donner sa bénédiction, elle objecta qu’à la nouvelle du prochain mariage de son frère, Sylvinet était retombé malade, et elle demandait qu’on attendît encore quelques jours pour le guérir ou le consoler.

— Vous avez fait une faute, mère Barbeau, dit la petite Fadette, en confirmant à Sylvinet qu’il n’avait point rêvé en me voyant à son côté au sortir de sa fièvre. À présent, son idée contrariera la mienne, et je n’aurai plus la même vertu pour le guérir pendant son sommeil. Il se peut même qu’il me repousse et que ma présence empire son mal.

— Je ne le pense point, répondit la mère Barbeau ; car tantôt, se sentant mal, il s’est couché en disant : « Où est donc cette Fadette ? M’est avis qu’elle m’avait soulagé. Est-ce qu’elle ne reviendra plus ? » Et je lui ai dit que je venais vous chercher, dont il a paru content et même impatient.

— J’y vais, répondit la Fadette ; seulement, cette fois, il faudra que je m’y prenne autrement ; car, je vous le dis, ce qui me réussissait avec lui lorsqu’il ne me savait point là, n’opérera plus.

— Et ne prenez-vous donc avec vous ni drogues ni remèdes ? dit la mère Barbeau.

— Non, dit la Fadette : son corps n’est pas bien malade, c’est à son esprit que j’ai affaire ; je vas essayer d’y faire entrer le mien ; mais je ne vous promets point de réussir. Ce que je puis vous promettre, c’est d’attendre patiemment le retour de Landry et de ne pas vous demander de l’avertir avant que nous n’ayons tout fait pour ramener son frère à la santé. Landry me l’a si fortement recommandé que je sais qu’il m’approuvera d’avoir retardé son retour et son contentement.

Quand Sylvinet vit la petite Fadette auprès de son lit, il parut mécontent et ne lui voulut point répondre comment il se trouvait. Elle voulait lui toucher le pouls, mais il retira sa main, et tourna sa figure du côté de la ruelle du lit. Alors la Fadette fit signe qu’on la laissât seule avec lui, et, quand tout le monde fut sorti, elle éteignit la lampe et ne laissa entrer dans la chambre que la clarté de la lune, qui était toute pleine dans ce moment-là. Et puis elle revint auprès de Sylvinet, et lui dit, d’un ton de commandement auquel il obéit comme un enfant :

— Sylvinet, donnez-moi vos deux mains dans les miennes, et répondez-moi selon la vérité ; car je ne me suis pas dérangée pour de l’argent, et, si j’ai pris la peine de venir vous soigner, ce n’est pas pour être mal reçue et mal remerciée de vous. Faites donc attention à ce que je vas vous demander et à ce que vous allez me dire, car il ne vous serait pas possible de me tromper.

— Demandez-moi ce que vous jugerez à propos, Fadette, répondit le besson, tout essoti de s’entendre parler si sévèrement par cette moqueuse de petite Fadette, à laquelle, au temps passé, il avait si souvent répondu à coups de pierres.

— Sylvain Barbeau, reprit-elle, il paraît que vous souhaitez mourir.

Sylvinet trébucha un peu dans son esprit avant de répondre, et comme la Fadette lui serrait la main un peu fort et lui faisait sentir sa grande volonté, il dit avec beaucoup de confusion :

— Ne serait-ce pas ce qui pourrait m’arriver de plus heureux, de mourir, lorsque je vois bien que je suis une peine et un embarras à ma famille par ma mauvaise santé et par…

— Dites tout, Sylvain, il ne me faut rien celer.

— Et par mon esprit soucieux que je ne puis changer, reprit le besson tout accablé.

— Et aussi par votre mauvais cœur, dit la Fadette d’un ton si dur qu’il en eut de la colère et de la peur encore plus.

XXXVIII.

— Pourquoi m’accusez-vous d’avoir un mauvais cœur ? dit-il ; vous me dites des injures, quand vous voyez que je n’ai pas la force de me défendre.