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VALENTINE.

qu’elle soit ; n’avez-vous pas en vous une pensée qui devrait vous donner du courage ?



Louise jetait mélancoliquement des fleurs dans le courant. (Page 28.)

Laquelle, Valentine ? dites-la.

— Mon amitié n’est-elle pas ?…

— Votre amitié ? c’est beaucoup plus que je ne mérite, Madame ; aussi je me sens indigne d’y répondre, et je n’en veux pas. Ah ! Valentine, vous devriez dormir toujours ; mais la femme la plus pure redevient hypocrite en s’éveillant. Votre amitié !

— Oh ! vous êtes égoïste, vous ne vous souciez pas de mes remords !

— Madame, je les respecte ; c’est pour cela que je veux mourir. Qu’êtes-vous venue faire ici ? Il fallait abjurer toute religion, tout scrupule, et venir à moi pour me dire : « Vis, et je t’aimerai ; » ou bien il fallait rester chez vous, m’oublier et me laisser périr. Vous ai-je rien demandé ? ai-je voulu empoisonner votre vie ? Me suis-je fait un jeu de votre bonheur, de vos principes ? Ai-je imploré votre pitié, seulement ? Tenez, Valentine, cette compassion que vous me témoignez, ce sentiment d’humanité qui vous amène ici, cette amitié que vous m’offrez, tout cela, ce sont de vains mots qui m’eussent trompé il y a un mois, lorsque j’étais un enfant et qu’un regard de vous me faisait vivre tout un jour. À présent, j’ai trop vécu, j’ai trop appris les passions pour m’aveugler. Je n’essaierai plus une lutte inutile et folle contre ma destinée. Vous devez me résister, je le sais ; vous le ferez, je n’en doute pas. Vous me jetterez parfois une parole d’encouragement et de pitié pour m’aider à souffrir, et encore vous vous la reprocherez comme un crime, et il faudra qu’un prêtre vous en absolve pour que vous vous la pardonniez. Votre vie sera troublée et gâtée par moi ; votre âme, sereine et pure jusqu’ici, sera désormais orageuse comme la mienne ! À Dieu ne plaise ! Et moi, en dépit de ces sacrifices qui vous sembleront grands, je me trouverai le plus misérable des hommes ! Non, non, Valentine, ne nous abusons pas. Il faut que je meure. Telle que vous êtes, vous ne pouvez pas m’aimer sans remords et sans tourments ; je ne veux point d’un bonheur qui vous coûterait si cher. Loin de vous accuser, c’est pour votre vertu, pour votre force que je vous aime avec tant d’ardeur et d’enthousiasme. Restez donc telle que vous êtes ; ne descendez pas au-dessous de vous-même pour arriver jusqu’à moi. Vivez, et méritez