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ANDRÉ

son ami, vous devez être inquiet aussi… Il peut avoir besoin de vous…



Quel être singulier ! dit Geneviève en rougissant. (Page 69)

— Parbleu ! j’y vais sur-le-champ, répondit Joseph en prenant le chemin de son écurie. Diable ! diable ! qu’est-ce que tout cela ? »

Préoccupé de cette fâcheuse nouvelle, et partageant autant qu’il était en lui l’inquiétude de Geneviève, il se mit à seller son cheval tout en grommelant entre ses dents et jurant contre son domestique et contre lui-même à chaque courroie qu’il attachait. En mettant enfin le pied sur l’étrier, il s’aperçut, à la lueur d’une vieille lanterne de fer suspendue au plafond de l’écurie, que Geneviève était là et suivait tous ses mouvements avec anxiété, Elle était si pâle et si brisée que, contre sa coutume, Joseph fut attendri.

« Soyez tranquille, lui dit-il, je serai bientôt arrivé.

— Et revenu ? lui demanda Geneviève d’un air suppliant.

— Ah ! diable ! cela est une autre affaire. Six lieues ne se font pas en un quart d’heure. El puis, si André est vraiment mal, je ne pourrai pas le quitter !

— Oh ! mon Dieu ! que vais-je devenir ? dit-elle en croisant ses mains sur sa poitrine. Joseph ! Joseph ! s’écria-t-elle avec effusion en se rapprochant de lui, sauvez-le, et laissez-moi mourir d’inquiétude.

— Ma chère demoiselle, reprit Joseph, tranquillisez-vous ; le mal n’est peut-être pas si grand que vous croyez.

— Je ne me tranquilliserai pas ; j’attendrai, je souffrirai, je prierai Dieu. Allez vite… Attendez, Joseph, ajouta-t-elle en posant sa petite main sur la main rude du cavalier ; s’il meurt, parlez-lui de moi, faites-lui entendre mon nom, dites-lui que je ne lui survivrai pas d’un jour ! »

Geneviève fondit en larmes ; les yeux de Joseph s’humectèrent malgré lui.

« Écoutez, dit-il : si vous restez à m’attendre, vous souffrirez trop. Venez avec moi.

— Oui ! s’écria Geneviève ; mais comment faire ?

— Montez en croupe derrière moi. Il fait une nuit du diable : personne ne nous verra. Je vous laisserai dans la métairie la plus voisine du château ; je courrai m’informer de ce qui se passe, et vous le saurez au bout d’un quart d’heure, soit que j’accoure vous le dire et que je retourne vite auprès d’André, soit que je le trouve assez bien pour le quitter et vous ramener avant le jour.