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ANDRÉ

agricoles. Ils se mirent donc en route. Chemin faisant, Joseph s’arrêta sur le bord d’une traîne comme frappé d’admiration. « Tudieu ! quelle luzerne ! s’écria-t-il, est-ce de la luzerne, voisin ? Quel diable de fourrage est-ce là ? c’est vigoureux comme une forêt, et bientôt on s’y promènera à couvert du soleil.



Malgré l’anxiété de la situation, elle céda et laissa tomber sa jolie tête… (Page 77.)

— Ah ! dit le marquis, je suis bien aise que tu voies cela. Je te prie d’en parler un peu dans le pays : c’est une expérience que j’ai faite, un nouveau fourrage essayé pour la première fois dans nos terres.

— Comme cela s’appelle-t-il ?

— Ah ! ma foi, je ne saurais pas le dire ; cela a un nom anglais ou irlandais que je ne peux jamais me rappeler. La société d’agriculture de Paris envoie tous les ans à notre société départementale (dont tu sais que je suis le doyen) différentes sortes de graines étrangères. Ça ne réussit pas dans toutes les mains.

— Mais dans les vôtres, voisin, il paraît que ça prospère. Il faut convenir qu’il n’y a peut-être pas deux cultivateurs en France qui sachent comme vous retourner une terre et lui faire produire ce qu’il vous plaît d’y semer. Vous êtes pour les prairies artificielles, n’est-ce pas ?

— Je dis, mon enfant, qu’il n’y a que ça, et que celui qui voudra avoir du bétail un peu présentable dans notre pays ne pourra jamais en venir à bout sans les regains. Nous avons trop peu de terrain à mettre en pré, vois-tu ; il ne faut pas se dissimuler que nous sommes secs comme l’Arabie. Ça aura de la peine à prendre ; le paysan est entêté et ne veut pas entendre parler de changer la vieille coutume. Cependant ils commencent à en revenir un peu.

— Parbleu ! je le crois bien ; quand on voit au marché des bœufs comme les vôtres, on est forcé d’y faire attention. Pour moi, c’est une chose qui m’a toujours tourmenté l’esprit. L’autre jour encore j’en ai vu passer une paire qui allait à Berthenoux, et je me disais : Que diable leur fait-il manger pour leur donner cette graisse, et ce poil, et cette mine !

— Eh bien ! veux-tu que je te dise une chose ? Tu vois cette luzerne anglaise, cela m’a rapporté vingt charrois de fourrage l’année dernière.

— Vingt charrois là-dedans ! Votre parole d’honneur, voisin ?

— Foi de marquis ?

— C’est prodigieux ! Vous me vendrez six boisseaux