Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, vol 2, 1852.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
METELLA.

avide de se repaître d’infortunes et de se réjouir la vue avec les chagrins qu’il ne sent pas ; la désertion du comte et ses motifs rendirent le rôle de lady Mowbray fâcheux et triste. Les femmes s’en réjouissaient, et quoique les hommes la tinssent encore pour charmante et désirable, nul n’osait se présenter, dans la crainte d’être accepté comme un pis-aller. Olivier vint, et, comme il aimait sincèrement, il ne craignit pas d’être ridicule ; il s’offrit, non pas encore comme un amant, mais comme un ami sincère, comme un fils dévoué. Un matin, lady Mowbray quitta Florence sans qu’on sût où elle était allée ; on vit encore le jeune Olivier pendant quelques jours dans les endroits publics, se montrant comme pour prouver qu’il n’avait pas enlevé lady Mowbray. Le comte lui en sut bon gré et ne lui chercha pas querelle. Au bout de la semaine, le Genevois disparut à son tour, sans avoir prononcé devant personne le nom de lady Mowbray.

Il la rejoignit à Milan, où, selon sa promesse, elle l’attendait ; il la trouva bien pâle et bien près de la vieillesse. Je ne sais si son amour diminua, mais son amitié s’en accrut. Il se mit à ses genoux, baisa ses mains, l’appela sa mère, et la supplia de prendre courage.

« Oui, appelez-moi toujours votre mère, lui dit-elle ; je dois en avoir pour vous la tendresse et l’autorité. Écoutez donc ce que ma conscience m’ordonne de vous dire dès aujourd’hui. Vous m’avez parlé souvent de votre affection, non pas seulement de celle qu’un généreux enfant peut avoir pour une vieille amie, mais vous m’avez parlé comme un jeune homme pourrait le faire à une femme dont il désire l’amour. Je crois, mon cher Olivier, que vous vous êtes trompé alors, et qu’en me voyant vieillir chaque jour vous serez bientôt désabusé. Quant à moi, je vous dirai la vérité. J’ai essayé de partager tous vos sentiments ; je l’ai résolu, je vous l’ai presque promis. Je ne devais plus rien à Buondelmonte, et je me devais à moi-même de le laisser disposer de son avenir. J’ai quitté Florence dans l’espoir de me guérir de ce cruel amour, et d’en ressentir un plus jeune et plus enivrant avec vous. Eh bien ! je ne vous dirai pas aujourd’hui que ma raison repousse cette imprudente alliance entre deux âges aussi différents que le vôtre et le mien. Je ne vous dirai pas non plus que ma conscience me défend d’accepter un dévouement dont vous vous repentiriez bientôt. Je ne sais pas à quel point j’écouterais ma conscience et ma raison, si l’amour était une fois rentré dans mon cœur. Je sais que je suis encore malheureusement bien jeune au moral ; mais voici ma véritable raison. Olivier n’en soyez pas offensé, et songez que vous me remercierez un jour de vous l’avoir dite, et que vous m’estimerez de n’avoir pas agi comme une femme de mon âge, blessée dans ses plus chères vanités, eût agi envers un jeune homme tel que vous. Je suis femme, et j’avoue qu’au milieu de mon désespoir j’ai ressenti vivement l’affront fait à mon sexe et à ma beauté passée. J’ai versé des larmes de sang en voyant le triomphe de mes rivales, en essuyant les railleries de celles qui sont jeunes aujourd’hui ; et qui semblent ignorer qu’elles passeront, que demain elles seront comme moi. Eh bien ! Olivier, je me suis débattue contre ce dépit poignant ; j’ai résisté aux conseils de mon orgueil, qui m’engageait à recevoir vos soins publiquement et à me parer de votre jeune amour comme d’un dernier trophée : je ne l’ai pas fait, et j’en remercie Dieu et ma conscience. Je vous dois aujourd’hui une dernière preuve de loyauté.

— Arrêtez, madame, dit Olivier ; et ne m’ôtez pas tout espoir ! Je sais ce que vous avez à me dire : vous aimez encore le comte de Buondelmonte, et vous voulez rester fidèle à la mémoire d’un bonheur qu’il a détruit. Je vous en vénère et vous en aime davantage ; je respecterai ce noble sentiment, et j’attendrai que le temps et Dieu vous parlent en ma faveur. Si j’attends en vain, je ne regretterai pas de vous avoir consacré mes soins et mon respect. »

Lady Mowbray serra la main d’Olivier et l’appela son fils. Ils se rendirent à Genève ; et Olivier tint ses promesses. Peut-être ne furent-elles pas très-héroïques d’abord ; mais, au bout de six mois, Metella, apaisée par sa résignation et rétablie par l’air vif des montagnes, retrouva la fraîcheur et la santé qu’elle avait perdues. Ainsi qu’on voit, après les premières pluies de l’automne, recommencer une saison chaude et brillante, lady Mowbray entra dans son été de la Saint-Martin ; c’est ainsi que les villageois appellent les beaux jours de novembre. Elle redevint si belle, qu’elle espéra avec raison jouir encore de quelques années de bonheur et de gloire. Le monde ne lui donna pas de démenti, et l’heureux Olivier moins que personne.

Ils avaient fait ensemble le voyage de Venise ; et, à la suite des fêtes du carnaval, ils s’apprêtaient à revenir à Genève, lorsque le comte de Buondelmonte, tiré à la remorque par sa princesse allemande, vint passer une semaine dans la ville des doges. La princesse Wilhelmine était jeune et vermeille ; mais, lorsqu’elle lui eut récité une assez grande quantité de phrases apprises par cœur dans ses livres favoris, elle rentra dans un pacifique silence dont elle ne sortit plus que pour redire ses apologues et ses sentences accoutumés. Le pauvre comte se repentait cruellement de son choix et commençait à craindre une luxation de la mâchoire s’il continuait à jouir de son bonheur, lorsqu’il vit passer dans une gondole Metella avec son jeune Olivier. Elle avait l’air d’une belle reine suivie de son page. La jalousie du comte se réveilla, et il rentra chez lui déterminé à passer son épée au travers de son rival. Heureusement pour lui ou pour Olivier, il fut saisi d’un accès de fièvre qui le retint au lit huit jours. Durant ce temps, la princesse Wilhelmine, scandalisée de l’entendre invoquer sans cesse dans son délire lady Mowbray, prit la route de Wurtemberg avec un chevalier d’industrie qui se donnait à Venise pour un prince grec, et qui, grâce à de fort belles moustaches noires et à un costume théâtral, passait pour un homme très-vaillant. Pendant le même temps, lady Mowbray et Olivier quittèrent Venise sans avoir appris qu’ils avaient heurté la gondole du comte de Buondelmonte, et qu’ils le laissaient entre deux médecins, dont l’un le traitait pour une gastrite, et l’autre pour une affection cérébrale. À force de glace appliquée, par l’un sur l’estomac, et par l’autre sur la tête, le comte se trouva bientôt guéri des deux maladies qu’il n’avait pas eues, et, revenant à Florence, il oublia les deux femmes qu’il n’avait plus.

II.

Un matin, lady Mowbray, qui s’était fixée en Suisse, reçut une lettre datée de Paris ; elle était de la supérieure d’un couvent de religieuses où Metella avait mis deux ou trois ans auparavant sa nièce, miss Sarah Mowbray, jeune orpheline très-intéressante, comme le sont toutes les orphelines en général, et particulièrement celles qui ont de la fortune. La supérieure avertissait lady Mowbray que la maladie de langueur dont miss Sarah était atteinte depuis un an faisait des progrès assez sérieux pour que les médecins eussent prescrit le changement d’air et de lieu dans le plus court délai possible. Aussitôt après la réception de cette lettre, lady Mowbray demanda des chevaux de poste, fit faire à la hâte quelques paquets, et partit pour Paris dans la journée.

Olivier resta seul dans le grand château que lady Mowbray avait acheté sur le Léman, et dans lequel depuis cinq ans il passait auprès d’elle tous les étés. C’était depuis ces cinq années la première fois qu’il se trouvait seul à la campagne, forcé, pour ainsi dire, de réfléchir et de contempler sa situation. Bien que le voyage de lady Mowbray dût être d’une quinzaine de jours tout au plus, elle avait semblé très-affectée de cette séparation, et lui-même n’avait point accepté sans répugnance l’idée qu’un tiers allait venir se placer dans une intimité jusqu’alors si paisible et si douce. Le caractère romanesque d’Olivier n’avait pas changé ; son cœur avait le même besoin d’affection, son esprit la même candeur qu’autrefois. Avait-il obéi à la loi du temps, et son amour pour lady Mowbray avait-il fait place à l’amitié ? il n’en savait rien lui-même, et Metella n’avait jamais eu l’imprudence de l’interroger à cet égard. Elle jouissait de son affection sans l’analyser. Trop sage et trop juste pour n’en pas sentir le prix, elle