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JEANNE.

plus mystérieusement dans son dialecte, elle entraîna son interlocuteur à s’en servir aussi pour lui répondre, et Guillaume cessa de les écouter.



Jeanne leva les yeux sur l’étranger et les baissa aussitôt. (Page 12.)

Cependant leur dialogue continuant avec force éclats de rire du fossoyeur, Guillaume prêta encore de temps en temps l’oreille malgré lui, et saisit des paroles étranges qui le frappèrent, il était toujours question de bœuf d’or, de veau d’or, de trésor, de trou à l’or, et cette rime obstinée réveilla chez le jeune homme de vagues souvenirs de sa première enfance. Il était né au château de Boussac : il y avait été nourri par une robuste et dévouée paysanne dont il cherchait vainement à retrouver le nom.

Il avait quitté le pays à l’âge de cinq ans, et il n’y était plus revenu qu’une fois en 1816, époque à laquelle sa mère avait imaginé de se retremper dans l’air de sa seigneurie, un peu oubliée sous l’empire ; et à cette époque-là Guillaume n’avait guère songé à s’enquérir de sa nourrice ; mais les expressions bizarres qui revenaient toujours dans les longs monologues de la mère Guite réveillaient en lui la mémoire confuse du passé. Ce patois qu’il avait oublié, il se souvenait maintenant de l’avoir parlé avec sa nourrice avant de parler français, et peu à peu il se remettait à l’entendre comme sa langue maternelle. Sa nourrice aussi lui avait parlé de veau d’or et de trou d’or. Elle savait là-dessus mille contes et mille chansons fantastiques qui l’avaient agité dans ses songes ; et cette fidèle berceuse, qui préside comme une sibylle aux premiers efforts de l’imagination, la première amie de l’homme, la bonne, ce personnage si bien nommé la nourrice, cette mère véritable dont l’autre est toujours condamnée à se sentir jalouse, vint se présenter à l’esprit de Guillaume comme un type vénérable, comme un être sacré qu’il se reprochait d’avoir oublié si longtemps. Il se demanda comment sa mère, si religieuse et si honorable en toutes choses, ne lui en avait jamais parlé. Il se fit un crime, lui qui lisait le Génie du Christianisme, et qui s’attendrissait au son des cloches « qui avaient chanté sur son berceau », d’avoir laissé dornir dans son cœur le soin de rechercher et de secourir cette femme dans sa détresse présumée. C’était peut-être la mère Guite ! Guillaume se souleva sur son coude et la contempla avec émotion à travers les tiges des longues herbes. Pouvait-elle être déjà si vieille ? La misère pouvait-elle avoir déjà flétri à ce point la femme qu’on avait dû choisir jeune, vi-