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HORACE.

précipitamment à une veuve de bonne maison, qui jouissait d’une vingtaine de mille livres de rentes, et qui était encore jeune et belle.



Comme nous étions encore penchés sur le balcon. (Page 95.)

Comme elle était dévote, sentimentale et coquette, il s’imagina qu’elle ne lui appartiendrait que par le mariage, et il se trompa. Soit que la veuve ne voulût faire de lui qu’un cavalier servant en tout bien tout honneur, soit qu’elle fût moins scrupuleuse et voulût aimer sans perdre sa liberté, il fut accueilli avec grâce, agacé avec art, et commença à se sentir amoureux avant de savoir à quoi s’en tenir. J’ignore si, malgré son extrême jeunesse, qu’il dissimulait dans sa barbe épaisse, son nom roturier, qu’il avait arrangé sur ses cartes de visite, et sa misère, qu’il pouvait encore cacher sous des habits neufs pendant quelque temps, il eût satisfait son amour et son ambition. L’espérance d’être un jour homme politique lui était revenue avec celle de devenir éligible par contrat de mariage. Il se nourrissait des plus doux projets, et attendait, pour avouer sa véritable situation, qu’il eût inspiré un amour assez violent pour la faire accepter ; mais il avait une ennemie qui devait lui barrer le chemin, c’était la vicomtesse de Chailly.

Quoiqu’elle n’eût plus d’amour pour lui, elle avait espéré le voir ramper devant elle, conformément aux prédictions du marquis de Vernes, aussitôt qu’elle l’aurait abandonné ; mais le marquis, en jugeant Horace orgueilleux en amour, s’était trompé. Horace n’était que vain, et son inconstance, jointe à sa bonté naturelle, l’empêchait de concevoir un dépit sérieux. Il vit bien que la vicomtesse était retournée au comte de Meilleraie ; mais comme elle le recevait avec une apparente bienveillance et l’admettait au rang de ses amis, il se tint pour satisfait, et continua à la voir sans amertume et sans prétention. C’eût été pour tous deux le meilleur état de choses ; mais Horace ne pouvait passer une semaine sans commettre une faute grave. Il aimait à se griser, pour étouffer peut-être quelques secrets remords. À la suite d’un déjeuner au Café de Paris, il s’enivra, devint expansif, vantard, et se laissa arracher l’aveu de ses succès auprès de la vicomtesse. Un de ceux qui l’aidèrent perfidement à cette confession haïssait Léonie, et voyait intimement le comte de Meilleraie. Dès le lendemain, ce dernier fut informé de l’infidélité de sa maîtresse. Il lui fit, non pas une scène, il ne l’aimait pas