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CONSUELO.

tout le premier : La Consuelo n’est bonne à rien ! »



Je vous permets, lui dit-il, de monter aussi dans ma gondole…
(Page 26.)

Et sans s’inquiéter de l’effet désastreux que pouvaient produire des encouragements aussi tendres, le professeur mit ses lunettes, arrangea sa chaise bien en face de son élève et commença à battre la mesure sur la queue du clavecin pour donner le vrai mouvement à la ritournelle. On avait choisi un air brillant, bizarre et difficile, tiré d’un opéra bouffe de Galuppi, la Diavolessa, afin de prendre tout à coup le genre le plus différent de celui où Consuelo avait triomphé le matin. La jeune fille avait une si prodigieuse facilité qu’elle était arrivée, presque sans études, à faire faire, en se jouant, tous les tours de force alors connus, à sa voix souple et puissante. Le Porpora lui avait recommandé de faire ces exercices, et, de temps en temps, les lui avait fait répéter pour s’assurer qu’elle ne les négligeait pas. Mais il n’y avait jamais donné assez de temps et d’attention pour savoir ce dont l’étonnante élève était capable en ce genre. Pour se venger de la rudesse qu’il venait de lui montrer, Consuelo eut l’espiéglerie de surcharger l’air extravagant de la Diavolessa d’une multitude d’ornements et de traits regardés jusque là comme impossibles, et qu’elle improvisa aussi tranquillement que si elle les eût notés et étudiés avec soin. Ces ornements furent si savants de modulations, d’un caractère si énergique, si infernal, et mêlés, au milieu de leur plus impétueuse gaîté, d’accents si lugubres, qu’un frisson de terreur vint traverser l’enthousiasme de l’auditoire, et que le Porpora, se levant tout à coup, s’écria avec force :

« C’est toi qui es le diable en personne ! »

Consuelo finit son air par un crescendo de force qui enleva les cris d’admiration, tandis qu’elle se rasseyait sur sa chaise en éclatant de rire.

« Méchante fille ! dit le Porpora, tu m’as joué un tour pendable. Tu t’es moquée de moi. Tu m’as caché la moitié de tes études et de tes ressources. Je n’avais plus rien à t’enseigner depuis longtemps, et tu prenais mes leçons par hypocrisie, peut-être pour me ravir tous les secrets de la composition et de l’enseignement, afin de me surpasser en toutes choses, et de me faire passer ensuite pour un vieux pédant !

— Mon maître, répondit Consuelo, je n’ai pas fait autre chose qu’imiter votre malice envers l’empereur Charles. Ne m’avez-vous pas raconté cette aventure ? comme quoi