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DE MÉZIÈRES-EN-BRENNE.

LE CHEVAL DE BRENNE.

On ne saurait trop approuver et encourager le propriétaire zélé à qui nous devons l’idée du Cercle hippique de Mézières. Amateur passionné des chevaux, il s’est pénétré du côté utile et sérieux de cette étude. Il y a consacré du temps, de l’argent, des voyages. M. le comte Savary de Lancosme-Brèves a donc droit à la gratitude de tous les habitants du pays.

Dans un très-bon rapport présenté en 1843 au conseil général de l’Indre, M. Navelet, maire de Mézières, propriétaire considérable et homme distingué par son érudition et ses connaissances, démontra la nécessité de canaliser la Claise. Il fournit plusieurs points de vue dignes d’être pris en considération. Déjà, en 1837, M. de la Tremblais avait lu à la Société d’agriculture du département un mémoire intéressant sur cette question. Une commission composée de citoyens éclairés, chargée de s’enquérir des moyens les plus efficaces pour rendre la salubrité et la fertilité à la Brenne, s’était livrée à des travaux sérieux. En 1843, M. de Lancosme-Brèves présenta aussi un rapport qui résume les choses à ce point que nous en rendrons compte ici.

Après avoir retracé, rappelé et soutenu les études antérieures sur la Brenne, M. de Lancosme-Brèves demanda la création d’une école nationale d’agriculture et de haras, projet qui se rapporte à la grande question nationale agitée dans la Chambre des députés, relative à l’industrie chevaline si compromise aujourd’hui. C’est, avec certaines différences de détail, le même projet, quant au fond, que M. le vicomte d’Aure poursuit encore maintenant avec zèle et talent. Moyennant la lumière et la sanction qu’apportera dans ces propositions l’examen approfondi des commissions nommées par la Chambre, de telles études hâteront, il faut l’espérer, la réhabilitation et le salut de l’industrie chevaline en France, et dans la Brenne en particulier. On peut résumer les divers travaux présentés sur cette matière, en disant que le gouvernement est appelé à prendre en main la haute direction de la production et de l’éducation du cheval, à apporter des réformes indispensables dans l’administration des haras, à créer des écoles spéciales, en un mot à reconnaître les ressources que possède la France, et à l’affranchir de l’énorme impôt payé à l’étranger pour la consommation générale et la remonte de la cavalerie.

Il ne nous appartient pas de trancher toutes les questions de détail soulevées par la question elle-même. Mais ce que nous voyons clairement avec tout le monde, c’est que l’État ne peut les laisser plus longtemps dans le doute, qu’il ne doit pas reculer devant des travaux d’examen et des sacrifices devenus indispensables. « On se rappelle, dit M. de Lancosme-Brèves, dans son rapport, que, sur un simple bruit de guerre, 20 millions furent votés : c’est-à-dire, qu’en un seul jour, l’État perdit un million de revenu, sacrifice qui ne profita qu’aux étrangers. »

Tous les hommes compétents qui aperçoivent ce que l’on pourrait faire en France pour l’industrie chevaline, avec 20 millions, déploreront longtemps l’erreur commise à cette époque, erreur énorme, mais que des abus consacrés et une longue incurie antérieure avaient rendue presque inévitable.

En attendant l’intervention large et réelle de l’État, M. de Lancosme-Brèves, soutenu par un zèle à toute épreuve, et résolu à ne reculer devant aucun sacrifice personnel, a réussi à créer le Cercle hippique. Il a été secondé par ses compatriotes. Riches, nobles, bourgeois, légitimistes, conservateurs ou démocrates, tous ont compris l’utilité de son plan, et la nécessité de s’y associer, chacun dans la mesure de ses moyens ou de sa libéralité. Désormais le cercle hippique est fondé. Chaque année il prospère, et, déjà, ses beaux résultats dépassent les espérances qu’on en avait conçues.

C’est que, jusqu’à présent, et dès à présent, l’élevage du cheval a été, et doit être, la principale ressource de la Brenne. Ce qui doit nous intéresser au plus haut point, c’est que cette industrie agricole est la plus prompte, la plus certaine pour améliorer la condition du petit cultivateur et créer une occupatlion saine et fructueuse au prolétaire. Il se passera encore des années avant que les grands travaux de canalisation épurent l’atmosphère, avant que la grande culture puisse engraisser, sur tous les points, ces limons sablonneux, enfin avant que, dans tous ces progrès vastes, mais lents, le pauvre paysan ait trouvé assez d’ouvrage et recouvré assez de santé pour amasser quelque chose et s’affranchir un peu de l’aumône et du salaire. Tout en demandant les grands remèdes, M. de Lancosme-Brèves et tous ceux qui l’ont aidé de leur intelligence ou de leurs sacrifices, ont été fort sagement au plus pressé. C’était de créer une richesse agricole immédiate, et qui se trouvât pour ainsi dire sous la main. Elle était dans l’élevage et l’amélioration de la race chevaline.

Dans plusieurs écrits, M. de Lancosme-Brèves a prouvé l’excellence du cheval de Brenne. Nous ne citerons, pour abréger, que le résumé tracé dans son rapport au conseil général.

« Sans soin, sans nourriture substantielle, le cheval du pays arrive néanmoins à la constitution la plus robuste. Il est petit, mais vigoureux : ses naseaux ouverts indiquent que l’air arrive facilement aux organes de la respiration. Sa poitrine haute et large loge des poumons d’une nature exceptionnelle. Ces animaux font souvent des trajets de 40 à 50 kilomètres, sans en éprouver d’altération, et il n’est pas rare de rencontrer des chevaux brennoux qui font dans une journée jusqu’à 100 et 120 kilomètres. Leurs membres secs et évidés indiquent encore que le sol ne donne pas au cheval qu’il nourrit le tempérament lymphatique qui se trouve dans une grande partie des chevaux de l’Europe. En un mot, les qualités du cheval de guerre, la sobriété, la vigueur, et les qualités brillantes du cheval arabe et du cheval anglais se retrouvent dans le fidèle compagnon du paysan de la Brenne. Nous pouvons dire avec certitude, par l’expérience acquise de plusieurs éleveurs, que les qualités du cheval de sang recevraient de nouveaux développements par la nature du sol de la Brenne…

« Continuellement soumis aux intempéries des saisons, le cheval du pays se nourrit d’une herbe produite par un sol ni trop gras, ni trop maigre, dont le sous-sol, presque imperméable, retient les eaux facilement et fait de la terre une prairie sans fin, produisant l’herbe abondante, mais qui ne contient pas les principes trop nutritifs des prairies grasses. »

Nous pouvons aisément vérifier par notre expérience, nous autres habitants de la Vallée-Noire, la vérité de cette dernière assertion. Les herbages si gras et si magnifiques de nos prairies conviennent aux ruminants plus qu’au cheval, et encore avons-nous à lutter chaque année, aux jeunes herbes, contre l’apoplexie de nos superbes bœufs de trait. Le foin substantiel de nos vallées ne produit que des chevaux lymphatiques et de courte haleine, quand nous ne corrigeons pas cette pâture par des soins particuliers. La race du terroir est mauvaise. Pour l’usage, nous nous sommes longtemps approvisionnés de ces excellents petits chevaux brandins, que nous avons eu le tort d’abandonner, croyant obtenir des merveilles du croisement brusque de nos chétives poulinières avec les étalons de sang envoyés par les haras. Ces produits ont été généralement monstrueux et détestables, tout à fait impropres à soutenir la fatigue de notre pays montueux et des routes durement creusées sur presque tous les points de l’arrondissement de La Châtre. Ce n’est qu’en Brenne que nous pouvons espérer de remonter nos métairies par l’acquisition de ces juments brandines, qui s’allient si bien au sang percheron et au sang arabe, leur cousin germain, leur aïeul peut-être[1].

  1. On prétend que les seigneurs croisés nous ont ramené beaucoup de chevaux de l’Orient et de l’Afrique, qui ont engendré notre race brandine. À voir la construction du cheval brennoux, cette supposition ne paraît point trop hasardée.