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CONSUELO.

de toutes ces formules de dévotion qu’elle avait acceptées jusque là sans examen, et qui ne satisfaisaient plus son esprit alarmé. « À ce que j’ai pu voir, pensait-elle, il y a deux sortes de dévotions à Venise. Celle des moines, des nonnes, et du peuple, qui va trop loin peut-être ; car elle accepte, avec les mystères de la religion, toutes sortes de superstitions accessoires, l’Orco (le diable des lagunes), les sorcières de Malamocco, les chercheuses d’or, l’horoscope, et les vœux aux saints pour la réussite des desseins les moins pieux et parfois les moins honnêtes : celle du haut clergé et du beau monde, qui n’est qu’un simulacre ; car ces gens-là vont à l’église comme au théâtre, pour entendre la musique et se montrer ; ils rient de tout, et n’examinent rien dans la religion, pensant que rien n’y est sérieux, que rien n’y oblige la conscience, et que tout est affaire de forme et d’usage.



Et continua de la saluer avec son bonnet en sautillant… (Page 83.)

Anzoleto n’était pas religieux le moins du monde ; c’était un de mes chagrins, et j’avais raison d’être effrayée de son incrédulité. Mon maître Porpora… que croyait-il ? je l’ignore. Il ne s’expliquait point là-dessus, et cependant il m’a parlé de Dieu et des choses divines dans le moment le plus douloureux et le plus solennel de ma vie. Mais quoique ses paroles m’aient beaucoup frappée, elles n’ont laissé en moi que de la terreur et de l’incertitude. Il semblait qu’il crût à un Dieu jaloux et absolu, qui n’envoyait le génie et l’inspiration qu’aux êtres isolés par leur orgueil des peines et des joies de leurs semblables. Mon cœur désavoue cette religion sauvage, et ne peut aimer un Dieu qui me défend d’aimer. Quel est donc le vrai Dieu ? Qui me l’enseignera ? Ma pauvre mère était croyante ; mais de combien d’idolâtries puériles son culte était mêlé ! Que croire et que penser ? Dirai-je, comme l’insouciante Amélie, que la raison est le seul Dieu ? Mais elle ne connaît même pas ce Dieu-là, et ne peut me l’enseigner ; car il n’est pas de personne moins raisonnable qu’elle. Peut-on vivre sans religion ? Alors pourquoi vivre ? En vue de quoi travaillerais-je ? en vue de quoi aurais-je de la pitié, du courage, de la générosité, de la conscience et de la droiture, moi qui suis seule dans l’univers, s’il n’est point dans l’univers un Être suprême, intelligent et plein d’amour, qui me juge, qui m’approuve, qui m’aide, me préserve et me bénisse ? Quelles forces, quels enivrements puisent-ils dans la vie, ceux qui peuvent se passer d’un espoir