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CONSUELO.

et même Albert, quoiqu’en tremblant. Tout fut muet, et l’écho seul lui renvoya le son de sa voix mal assurée.

Elle revint découragée vers ses guides. Ils vantèrent beaucoup son courage, et osèrent, après elle, explorer encore les lieux qu’elle venait de quitter, mais sans succès ; et tous rentrèrent en silence au château, où la chanoinesse, qui les attendait sur le seuil, vit, à leur récit, évanouir sa dernière espérance.

XXXVIII.

Consuelo, après avoir reçu les remercîments et le baiser que la bonne Wenceslawa, toute triste, lui donna au front, reprit le chemin de sa chambre avec précaution, pour ne point réveiller Amélie, à qui on avait caché l’entreprise. Elle demeurait au premier étage, tandis que la chambre de la chanoinesse était au rez-de-chaussée. Mais en montant l’escalier, elle laissa tomber son flambeau, qui s’éteignit avant qu’elle eût pu le ramasser. Elle pensa pouvoir s’en passer pour retrouver son chemin, d’autant plus que le jour commençait à poindre ; mais, soit que son esprit fût préoccupé étrangement, soit que son courage, après un effort au-dessus de son sexe, vînt à l’abandonner tout à coup, elle se troubla au point que, parvenue à l’étage qu’elle habitait, elle ne s’y arrêta pas, continua de monter jusqu’à l’étage supérieur, et entra dans le corridor qui conduisait à la chambre d’Albert, située presque au-dessus de la sienne ; mais elle s’arrêta glacée d’effroi à l’entrée de cette galerie, en voyant une ombre grêle et noire se dessiner devant elle, glisser comme si ses pieds n’eussent pas touché le carreau, et entrer dans cette chambre vers laquelle Consuelo se dirigeait, pensant que c’était la sienne. Elle eut, au milieu de sa frayeur, assez de présence d’esprit pour examiner cette figure, et pour voir rapidement dans le vague du crépuscule qu’elle avait la forme et l’accoutrement de Zdenko. Mais qu’allait-il faire dans la chambre de Consuelo à une pareille heure, et de quel message était-il chargé pour elle ? Elle ne se sentit point disposée à affronter ce tête-à-tête, et redescendit pour chercher la chanoinesse. Ce fut après avoir descendu un étage qu’elle reconnut son corridor, la porte de sa chambre, et s’aperçut que c’était dans celle d’Albert qu’elle venait de voir entrer Zdenko.

Alors mille conjectures se présentèrent à son esprit redevenu calme et attentif. Comment l’idiot pouvait-il pénétrer la nuit dans ce château si bien fermé, si bien examiné chaque soir par la chanoinesse et les domestiques ? Cette apparition de Zdenko la confirmait dans l’idée qu’elle avait toujours eue que le château avait une secrète issue et peut-être une communication souterraine avec le Schreckenstein. Elle courut frapper à la porte de la chanoinesse, qui déjà s’était barricadée dans son austère cellule, et qui fit un grand cri en la voyant paraître sans lumière et un peu pâle.

« Tranquillisez-vous, chère madame, lui dit la jeune fille ; c’est un nouvel événement assez bizarre, mais qui n’a rien d’effrayant : je viens de voir Zdenko entrer dans la chambre du comte Albert.

— Zdenko ! mais vous rêvez, ma chère enfant ; par où serait-il entré ? J’ai fermé toutes les portes avec le même soin qu’à l’ordinaire, et pendant tout le temps de votre course au Schreckenstein, je n’ai pas cessé de faire bonne garde ; le pont a été levé, et quand vous l’avez passé pour rentrer, je suis restée la dernière pour le faire relever.

— Quoiqu’il en soit, Madame, Zdenko est dans la chambre du comte Albert. Il ne tient qu’à vous de venir vous en convaincre.

— J’y vais sur-le-champ, répondit la chanoinesse, et l’en chasser comme il le mérite. Il faut que ce misérable y soit entré pendant le jour. Mais quels desseins l’amènent ici ? Sans doute il cherche Albert, ou il vient l’attendre ; preuve, ma pauvre enfant, qu’il ne sait pas plus que nous où il est !

— Eh bien, allons toujours l’interroger, dit Consuelo.

— Un instant, un instant ! dit la chanoinesse qui, au moment de se mettre au lit, avait ôté deux de ses jupes, et qui se croyait trop légèrement vêtue, n’en ayant plus que trois ; je ne puis pas me présenter ainsi devant un homme, ma chère. Allez chercher le chapelain ou mon frère le baron, le premier que vous rencontrerez… Nous ne pouvons nous exposer seules vis-à-vis de cet homme en démence… Mais j’y songe ! une jeune personne comme vous ne peut aller frapper à la porte de ces messieurs… Allons, allons, je me dépêche ; dans un petit instant je serai prête. »

Et elle se mit à refaire sa toilette avec d’autant plus de lenteur qu’elle voulait se dépêcher davantage, et que, dérangée dans ses habitudes régulières comme elle ne l’avait pas été depuis longtemps, elle avait tout à fait perdu la tête. Consuelo, impatiente d’un retard pendant lequel Zdenko pouvait sortir de la chambre d’Albert et se cacher dans le château sans qu’il fût possible de l’y découvrir, retrouva toute son énergie.

« Chère Madame, dit-elle en allumant un flambeau, occupez-vous d’appeler ces messieurs ; moi, je vais voir si Zdenko ne nous échappe pas. »

Elle monta précipitamment les deux étages, et ouvrit d’une main courageuse la porte d’Albert qui céda sans résistance ; mais elle trouva la chambre déserte. Elle pénétra dans un cabinet voisin, souleva tous les rideaux, se hasarda même à regarder sous le lit et derrière tous les meubles. Zdenko n’y était plus, et n’y avait laissé aucune trace de son entrée.

« Plus personne ! » dit-elle à la chanoinesse qui venait clopin-clopant, accompagnée de Hanz et du chapelain : le baron était déjà couché et endormi ; il avait été impossible de le réveiller.

« Je commence à craindre, dit le chapelain un peu mécontent de la nouvelle alerte qu’on venait de lui donner, que la signora Porporina ne soit la dupe de ses propres illusions…

— Non, monsieur le chapelain, répondit vivement Consuelo, personne ici n’en a moins que moi.

— Et personne n’a plus de force et de dévouement, c’est la vérité, reprit le bonhomme ; mais dans votre ardente espérance, vous croyez, signora, voir des indices où il n’y en a malheureusement point.

— Mon père, dit la chanoinesse, la Porporina est brave comme un lion, et sage comme un docteur. Si elle a vu Zdenko, Zdenko est venu ici. Il faut le chercher dans toute la maison ; et comme tout est bien fermé, Dieu merci, il ne peut nous échapper. »

On réveilla les autres domestiques, et on chercha de tous côtés. Il n’y eut pas une armoire qui ne fût ouverte, un meuble qui ne fût dérangé. On remua jusqu’au fourrage des immenses greniers. Hanz eut la naïveté de chercher jusque dans les larges bottes du baron. Zdenko ne s’y trouva pas plus qu’ailleurs. On commença à croire que Consuelo avait rêvé ; mais elle demeura plus persuadée que jamais qu’il fallait trouver l’issue mystérieuse du château, et elle résolut de porter à cette découverte toute la persévérance de sa volonté. À peine eut-elle pris quelques heures de repos qu’elle commença son examen. Le bâtiment qu’elle habitait (le même où se trouvait l’appartement d’Albert) était appuyé et comme adossé à la colline. Albert lui-même avait choisi et fait arranger son logement dans cette situation pittoresque qui lui permettait de jouir d’un beau point de vue vers le sud, et d’avoir du côté du levant un joli petit parterre en terrasse, de plain-pied avec son cabinet de travail. Il avait le goût des fleurs, et en cultivait d’assez rares sur ce carré de terres rapportées au sommet stérile de l’éminence. La terrasse était entourée d’un mur à hauteur d’appui, en larges pierres de taille, assis sur des rocs escarpés, et de ce belvédère fleuri on dominait le précipice de l’autre versant et une partie du vaste horizon dentelé du Bœhmerwald. Consuelo, qui n’avait pas encore pénétré dans ce lieu, en admira la belle position et l’arrangement pittoresque ; puis elle se fit expliquer par le chapelain à quel usage était destinée cette terrasse