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LA COMTESSE DE RUDOLSTADT.

elle-même que Trismégiste n’était pas Albert. Ne serait-il pas temps de leur retirer sa confiance après cette épreuve décisive, s’ils persistaient à vouloir la tromper si grossièrement ? Jusque-là, Consuelo voulut tenter la destinée et connaître davantage ces Invisibles à qui elle devait sa liberté, et dont les paternels reproches avaient été jusqu’à son cœur. Ce fut à ce dernier parti qu’elle s’arrêta, et en attendant l’issue de l’aventure, elle résolut de traiter tout ce que Supperville lui avait dit comme une épreuve qu’il avait été autorisé à lui faire subir, ou bien comme un besoin d’épancher sa bile contre des rivaux mieux vus et mieux traités que lui par le prince.



La masse de constructions ruinées… (Page 110.

Une dernière hypothèse tourmentait Consuelo plus que toutes les autres. Était-il absolument impossible qu’Albert fût vivant ? Supperville n’avait pas observé les phénomènes qui avaient précédé, pendant deux ans, sa dernière maladie. Il avait même refusé d’y croire, s’obstinant à penser que les fréquentes absences du jeune comte dans le souterrain étaient consacrées à de galants rendez-vous avec Consuelo. Elle seule, avec Zdenko, avait le secret de ses crises léthargiques. L’amour-propre du docteur ne pouvait lui permettre d’avouer qu’il avait pu s’abuser en constatant la mort. Maintenant que Consuelo connaissait l’existence et la puissance matérielle du conseil des Invisibles, elle osait se livrer à bien des conjectures sur la manière dont ils avaient pu arracher Albert aux horreurs d’une sépulture anticipée et le recueillir secrètement parmi eux pour des fins inconnues. Tout ce que Supperville lui avait révélé des mystères du château et des bizarreries du prince, aidait à confirmer cette supposition. La ressemblance d’un aventurier nommé Trismégiste, pouvait compliquer le merveilleux du fait, mais elle ne détruisait pas sa possibilité. Cette pensée s’empara si fort de la pauvre Consuelo, qu’elle tomba dans une profonde mélancolie. Albert vivant, elle n’hésiterait pas à le rejoindre dès qu’on le lui permettrait, et à se dévouer à lui éternellement. Mais plus que jamais elle sentait qu’elle devait souffrir d’un dévouement où l’amour n’entrerait pour rien. Le chevalier se présentait à son imagination comme une cause d’amers regrets, et à sa conscience comme une source de futurs remords. S’il fallait renoncer à lui, l’amour naissant suivait la marche ordinaire des inclinations contrariées, il devenait passion. Consuelo ne se