Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, vol 9, 1856.pdf/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
32
SPIRIDION.

des siècles. C’est en vain que j’essayais de répondre machinalement aux offices et d’occuper ma pensée de spéculations d’un ordre plus élevé ; l’activité de l’intelligence ne pouvait pas remplacer celle du cœur. La prière a cela de particulier, qu’elle met en jeu les facultés les plus sublimes de l’âme et les fibres les plus humaines du sentiment. La prière du chrétien, entre toutes les autres, fait vibrer toutes les cordes de l’être intellectuel et moral. Dans aucune autre religion l’homme ne se sent aussi près de son Dieu ; dans aucune, Dieu n’a été fait si humain, si paternel, si abordable, si patient et si tendre. Le livre ascétique de l’Imitation n’est qu’un adorable traité de l’amitié, amitié étrange, ineffable, sans exemple dans l’histoire des autres religions ; amitié intime, expansive, délicate, fraternelle, entre le Dieu Jésus et le chrétien fervent. Quel sentiment appliqué aux objets terrestres peut jamais remplacer celui-là pour l’homme qui l’a connu ? quelle éducation de l’intelligence peut satisfaire en même temps et au même degré à tous les besoins du cœur ? La doctrine chrétienne apaise toutes les ardeurs inquiètes de l’esprit en disant à son adepte : Tu n’as pas besoin d’être grand ; aime, et sois humble : aime Jésus, parce qu’il est humble et doux. Et lorsque le cœur trop plein d’amour est près de se répandre sur les créatures, elle l’arrête en lui disant : Souviens-toi que tu es grand et que tu ne peux aimer que Jésus, parce qu’il est seul grand et parfait. Elle ne cherche point à endurcir les entrailles de l’homme contre la douleur ; elle l’amollit pour le fortifier, et lui fait trouver dans la souffrance une sorte de délices. L’épicurisme le conduit au calme par la modération, le christianisme le conduit à la joie par les larmes ; la raison stoïque subit la torture, l’enthousiasme chrétien vole au martyre. Le grand œuvre du christianisme est donc le développement de la force intellectuelle par celui de la sensibilité morale, et la prière est l’inépuisable aliment où ces deux puissances se combinent et se retrempent sans cesse.



Je tombai sur mes genoux… (Page 27.)

« Comme le corps, l’âme a ses besoins journaliers ; comme lui, elle se fait certaines habitudes dans la manière de satisfaire à ses besoins. Chrétien et moine, je m’étais accoutumé, durant mes années heureuses, à une expansion fréquente de tout ce que mon cœur renfermait d’amour et d’enthousiasme. C’était particulièrement