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SPIRIDION.

mées ; je m’assis, incertain et agité. Puis, au bout de peu d’instants, je pris mon parti, je sortis de la cellule, sans bruit, tenant d’une main ma lampe, de l’autre une barre d’acier que j’enlevai à une des machines de l’observatoire, et je me rendis à l’église.



Il marchait rapidement sur la mer… (Page 55.)

Comment, moi, si jeune, si timide et si superstitieux jusqu’à ce jour, j’eus tout à coup la volonté et le courage d’entreprendre seul une telle chose, c’est ce que je n’expliquerai pas. Je sais seulement que mon esprit était élevé à sa plus haute puissance en cet instant, soit que je fusse sous l’empire d’une exaltation étrange, soit qu’un pouvoir supérieur à moi agît en moi à mon insu. Ce qu’il y a de certain, c’est que j’attaquai sans trembler la pierre du Hic est, et que je l’enlevai sans peine. Je descendis dans le caveau, et je trouvai le cercueil de plomb dans sa niche de marbre noir. M’aidant du levier et de mon couteau, j’en dessoudai sans peine une partie ; je trouvai, à l’endroit de la poitrine où j’avais dirigé mes recherches, des lambeaux de vêtement que je soulevai et qui se roulèrent autour de mes doigts comme des toiles d’araignée. Puis, glissant ma main jusqu’à la place où ce noble cœur avait battu, je sentis sans horreur le froid de ses ossements. Le paquet de parchemin n’étant plus retenu par les plis du vêtement, roula dans le fond du cercueil ; je l’en retirai, et, refermant le sépulcre à la hâte, je retournai auprès d’Alexis et déposai le manuscrit sur ses genoux. Alors, un vertige me saisit, et je faillis perdre connaissance ; mais ma volonté l’emporta encore : car Alexis dépliait le manuscrit d’une main ferme et empressée.

« Hic est veritas ! » s’écria-t-il en jetant les yeux sur la devise favorite de Spiridion, qui servait d’épigraphe à cet écrit. « Angel, que vois-je ? en croirai-je mes yeux ? Tiens, regarde toi-même, il me semble que je suis en proie à une hallucination. »

Je regardai avec lui ; c’était un de ces beaux manuscrits du treizième siècle tracés sur parchemin avec une netteté et une élégance dont l’imprimerie n’approche point ; travail manuel, humble et patient, de quelque moine inconnu ; et ce manuscrit, quelle fut ma surprise, quelle fut la consternation de mon maître Alexis, en voyant que ce n’était pas autre chose que le livre des Évangiles selon l’apôtre saint Jean ?

« Nous sommes trompés ! dit Alexis. Il y a eu là une