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SPIRIDION.

la justice ? Les temps sont mûrs ; il faut que le fruit tombe ; qu’importe quelques brins d’herbe écrasés ?



À mort ! à mort ! ce fanatique ! (Page 70.)

— Parlez-vous des ennemis de notre pays ?

— Je parle de glaives étincelants dans la main du Dieu des armées. Ils approchent, l’Esprit me l’a révélé, et ce jour est le dernier de mes jours, comme disent les hommes. Mais je ne meurs pas, je ne te quitte pas, Angel, tu le sais.

— Vous allez mourir ? m’écriai-je en m’attachant à son bras avec un effroi insurmontable ; oh ! ne dites pas que vous allez mourir ! Il me semble que je commence à vivre d’aujourd’hui.

— Telle est la loi providentielle de la succession des êtres et des choses, répondit-il. Ô mon fils, adorons le Dieu de l’infini ! Ô Spiridion ! je ne te demande pas de m’apparaître en ce jour ; les yeux de mon âme s’ouvrent sur un monde où ta forme humaine n’est pas nécessaire à ma certitude ; tu es avec moi, tu es en moi. Il n’est plus nécessaire que le sable crie sous tes pieds pour que je sache retrouver ton empreinte sur mon chemin. Non ! plus de visions, plus de prestiges, plus de songes extatiques ! Angel, les morts ne quittent pas le sanctuaire de la tombe pour venir, sous une forme sensible, nous instruire ou nous reprendre : mais ils vivent en nous, comme Spiridion le disait à Fulgence, et notre imagination exaltée les ressuscite et les met aux prises avec notre conscience, quand notre conscience incertaine et notre sagesse incomplète rejettent la lumière que nous eussions dû trouver en eux… »

En ce moment, un bruit lointain vint tonner comme un écho affaibli sur la croupe des montagnes, et la mer le répéta au loin d’une voix plus faible encore.

« Qu’est ceci, mon père ? demandai-je à Alexis qui écoutait en souriant.

— C’est le canon, répondit-il, c’est le vol de la conquête qui se dirige sur nous. »

Puis il prêta l’oreille, et le canon se faisait entendre régulièrement.

« Ce n’est pas un combat, dit-il, c’est un hymne de victoire. Nous sommes conquis, mon enfant ; il n’y a plus d’Italie. Que ton cœur ne se déchire pas à l’idée d’une patrie perdue. Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’Italie n’existe plus ; et ce qui achève de crouler aujourd’hui, c’est l’Église des papes. Ne prions pas pour