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consuelo.

« Le soir, mon père pensa qu’un peu de musique l’égaierait. Je n’avais pas encore chanté devant Albert. Ma harpe n’était arrivée que de la veille. Ce n’est pas devant vous, savante Porporina, que je puis me piquer de connaître la musique. Mais vous verrez que j’ai une jolie voix, et que je ne manque pas de goût naturel. Je me fis prier ; j’avais plus envie de pleurer que de chanter ; Albert ne dit pas un mot pour m’y encourager. Enfin je cédai ; mais je chantai fort mal, et Albert, comme si je lui eusse écorché les oreilles, eut la grossièreté de sortir au bout de quelques mesures. Il me fallut toute la force de mon orgueil pour ne pas fondre en larmes, et pour achever mon air sans faire sauter les cordes de ma harpe. Ma tante avait suivi son neveu, mon père s’était endormi, mon oncle attendait près de la porte que sa sœur vînt lui dire quelque chose de son fils. L’abbé resta seul à me faire des compliments qui m’irritèrent encore plus que l’indifférence des autres.

« — Il paraît, lui dis-je, que mon cousin n’aime pas la musique.

« — Il l’aime beaucoup, au contraire, répondit-il ; mais c’est selon…

« — C’est selon la manière dont on chante ? lui dis-je en l’interrompant.

« — C’est, reprit-il sans se déconcerter, selon la disposition de son âme ; quelquefois la musique lui fait du bien, et quelquefois du mal. Vous l’aurez ému, j’en suis certain, au point qu’il aura craint de ne pouvoir se contenir. Cette fuite est plus flatteuse pour vous que les plus grands éloges. »

« Les adulations de ce jésuite avaient quelque chose de sournois et de railleur qui me le faisait détester. Mais j’en fus bientôt délivrée, comme vous allez l’apprendre tout à l’heure. »