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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/346

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consuelo.

majestueuse indolence son épée dans une main, et dans l’autre deux pistolets dont la crosse était ornée de pierreries.

— Oh ! vous faites bien, messieurs », s’écria Consuelo, à qui l’impétuosité de son cœur fit oublier un instant son humble rôle, et qui pressa de ses deux mains le bras du comte.

Le comte, surpris d’une telle familiarité de la part d’un petit drôle de cette espèce, regarda sa manche d’un air de dégoût railleur, la secoua, et releva ses yeux avec une lenteur méprisante sur Consuelo qui ne put s’empêcher de sourire, en se rappelant avec quelle ardeur le comte Zustiniani et tant d’autres illustrissimes vénitiens lui avaient demandé, en d’autres temps, la faveur de baiser une de ces mains dont l’insolence paraissait maintenant si choquante. Soit qu’il y eût en elle, en cet instant, un rayonnement de fierté calme et douce qui démentait les apparences de sa misère, soit que sa facilité à parler la langue du bon ton en Allemagne fît penser qu’elle était un jeune gentilhomme travesti, soit enfin que le charme de son sexe se fît instinctivement sentir, le comte changea de physionomie tout à coup, et, au lieu d’un sourire de mépris, lui adressa un sourire de bienveillance. Le comte était encore jeune et beau ; on eût pu être ébloui des avantages de sa personne, si le baron ne l’eût surpassé en jeunesse, en régularité de traits, et en luxe de stature. C’étaient les deux plus beaux hommes de leur temps, comme on le disait d’eux, et probablement de beaucoup d’autres.

Consuelo, voyant les regards expressifs du jeune baron s’attacher aussi sur elle avec une expression d’incertitude, de surprise et d’intérêt, détourna leur attention de sa personne en leur disant :

« Allez, messieurs, ou plutôt venez ; nous vous ser-