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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

rapprochaient du Piémont, et moi de tous ceux qui se rapprochaient de l’Adriatique.

Voilà notre occupation de ces derniers temps. Je vous en ai fait part, sachant que vous vous intéressez à tout ce que nous faisons. Et puis je veux vous dire quelque chose qui vous fera peut-être plaisir et que vous devez, je crois, penser aussi : c’est que me voilà convaincue, pour ma part, que les dialectes sont beaucoup plus beaux que les langues. Ils sont plus vrais, ils ne se prêtent pas à l’emphase, ils sont forcés d’exprimer des idées nettes et simples, des sentiments énergiques, et ils se prêtent, en revanche, à des manifestations plus étendues de la pensée, par un luxe d’épithètes et de verbes dont les langues faites et châtiées n’approchent pas. Vous devriez, quand vous aurez des moments à perdre, faire quelques chansons dans votre dialecte, que je ne connais pas du tout, mais qui doit avoir aussi ses beautés. Je sais bien, moi, que j’aime beaucoup mieux le français que nos paysans parlaient il y a trente ans, et que quelques vieillards de chez nous parlent encore bien, que le français académique.

Nous avons un temps affreux, des torrents d’eau, des coups de vent à tout déraciner, mais pas de froid, et dès lors on travaille. J’ai fait deux ou trois romans depuis ceux qui ont été publiés, et une comédie. Tout cela ne fait pas de l’aisance. Mais le travail improductif au point de vue matériel n’en est pas moins le travail ; l’ami de l’âme, son plus fort soutien. Maurice