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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Voilà, en effet, une condamnation du bourgeois bien cruelle, bien acerbe, bien amère, bien systématique !

La haine systématique, voilà le reproche que je repousse, mon cher confrère ; car je ne vois pas l’honneur qui vous revient de professer un tel sentiment contre les artistes. Combien de fois, en d’autres temps, n’avez-vous pas fait gloire d’appartenir à cette race du sentiment et de l’inspiration ! et pourquoi cette horreur du comédien affichée par vous à propos de Flaminio, vous qui avez découvert et illustré l’illustre paillasse Deburau ? Qui donc vous a blessé ainsi, et pourquoi reniez-vous votre destinée, qui est de voir, de comprendre et d’aimer le théâtre ? Je pourrais bien vous mettre cent fois pour une en contradiction avec vous-même, en vous citant à vous-même ; mais ce n’est pas pour lutter contre votre judiciaire artistique que je vous écris, c’est pour vous dire : Laissez tomber sous vos pieds ces dépits qui vous troublent, et ne commettez pas d’injustices volontaires, quant à la morale des choses. Ma morale, à moi, c’est la seule force que je revendique contre des arrêts irréfléchis, et, puisque vous ne la sentez pas, il est utile, une fois pour toutes, que je vous la dise.

C’est une moralité du cœur, qui m’est venue surtout avec l’âge. Ceci n’est pas une fantaisie, comme vous l’appelez, c’est un sentiment très profond et très salutaire de ce que les hommes se doivent les uns aux autres en tout temps et en tout lieu, derrière les coulisses d’un théâtre comme au comptoir d’une boutique,