Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 1.djvu/114

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Que je regrette ce temps ! qu’il était heureux ! Nous voilà dispersés comme des feuilles par le vent, et sans savoir pourquoi !


LETTRE X

29 floréal.

Il y a aujourd’hui trois semaines que je ne t’ai vue et que je suis dans ce lieu de plaisance, loin de toi, loin de mes foyers, de mes amis ; je suis aussi fatigué de corps, que d’esprit. Une longue promenade est la cause de ma fatigue physique ; mais quant à la fatigue morale, ce n’est pas une bonne nuit qui me reposera. Il me faudrait être avec toi, et tout le reste ne serait rien. Tu me compares à une rose, ma bonne mère, je t’assure que depuis six mois je suis bien rembruni, et d’idées et de teint. Avec une légère nuance de plus je pourrais le disputer à Othello. Il faut se prendre de cela au blond Phœbus. Quant aux idées, dans ma situation on ne voit plus les objets lilas et aurore… Je ne crois pas que la grêle, la neige, le tonnerre qui tomberont à Nohant doivent nous inquiéter beaucoup, car pour les revenus de cette terre, ils ne nous appartiennent pas pour le moment. Qu’on est heureux d’être à l’hôpital ! on n’y a point l’inquiétude de la conservation de ses biens ! Et que cette inquiétude est peu de chose en comparaison de la privation que j’éprouve maintenant ! Je dis :

    De tous les biens que vous m’avez ravis,
    Grands dieux ! je ne réclame qu’elle.

C’est là mon refrain. Qu’on me rende ma mère, je ne demande plus rien.

Adieu, toujours adieu ! Quand donc nous dirons-nous aussi souvent bonjour ?

Maurice.