Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/251

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gination créaient sans cesse à cette organisation de poète. Je passai dix-sept jours à son chevet sans prendre plus d’une heure de repos sur vingt-quatre. Sa convalescence dura à peu près autant, et quand il fut parti, je me souviens que la fatigue produisit sur moi un phénomène singulier. Je l’avais accompagné de grand matin, en gondole, jusqu’à Mestre, et je revenais chez moi par les petits canaux de l’intérieur de la ville. Tous ces canaux étroits, qui servent de rues, sont traversés de petits ponts d’une seule arche pour le passage des piétons. Ma vue était si usée par les veilles, que je voyais tous les objets renversés, et particulièrement ces enfilades de ponts qui se présentaient devant moi comme des arcs retournés sur leur base.

Mais le printemps arrivait, le printemps du nord de l’Italie, le plus beau de l’univers peut-être. De grandes promenades dans les Alpes tyroliennes et ensuite dans l’Archipel vénitien,

    stridente. Je désirais beaucoup voir son tableau des Pêcheurs chioggiotes, dont on parlait comme d’une merveille mystérieuse, car il le cachait avec une sorte de jalousie colère et bizarre. J’aurais pu profiter de sa promenade, dont je connaissais les heures, pour me glisser dans son atelier ; mais on me dit que s’il apprenait l’infidélité de son hôtesse, il en deviendrait fou. Je me gardai bien de vouloir lui causer seulement un accès d’humeur ; mais cela me conduisit à apprendre des personnes qui le voyaient à toute heure qu’il était déjà considéré comme un maniaque des plus chagrins.