Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/293

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autant que la situation de Phèdre le comporte. Le rôle est brûlant, Mme Dorval y fut brûlante. Rachel y est brûlante maintenant, et Rachel est complète, parce qu’elle a encore la jeunesse, la beauté, la grâce idéale qui manquaient dès lors à Mme Dorval. Rachel inspire l’amour, elle l’inspirait déjà, bien qu’elle ne fût pas à l’apogée de son talent. Mme Dorval ne l’inspirait plus, et il y a plus d’amoureux que d’artistes dans un public quelconque. Mais tout ce qu’il y eut d’artistes pour la voir dans ce rôle, l’apprécia profondément et sentit des détails dont personne, pas même les grandes célébrités de l’empire, n’avaient peut-être révélé la portée.

En 1848, je vis Mme Dorval très effrayée et très consternée de la révolution qui venait de s’accomplir. M. Merle, bien que modéré par caractère et tolérant dans ses opinions, appartenait au parti légitimiste, et Mme Dorval s’imaginait qu’elle serait persécutée. Elle rêvait même d’échafauds et de proscriptions, son imagination active ne sachant pas faire les choses à demi.

Il n’y avait qu’un motif fondé à ses alarmes. Cette perturbation devait frapper et frappait déjà tous ceux qui vivent d’un travail approprié aux conditions de la forme politique que l’on remet en question. Les artisans et les artistes, tous ceux qui vivent au jour le jour, se trouvent momentanément paralysés dans de telles crises, et Mme Dorval, ayant à lutter contre l’âge, la fatigue,