Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/375

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n’avais fait que jeter un regard effrayé sur les abîmes des passions et les problèmes de la vie ; moi enfin qui n’en étais encore qu’au vertige des premières découvertes, je ne me sentais réellement pas le droit de parler de moi tout à fait réellement. Cela eût donné trop peu de portée à mes réflexions sur les choses générales, trop d’affirmation à mes plaintes particulières. Il m’était bien permis de philosopher à ma manière sur les peines de la vie et d’en parler comme si j’en avais épuisé la coupe, mais non pas de me poser, moi, femme, jeune encore, et même encore très enfant à beaucoup d’égards, comme un penseur éprouvé ou comme une victime particulière de la destinée. Décrire mon moi réel eût été d’ailleurs une occupation trop froide pour mon esprit exalté. Je créai donc, au hasard de la plume, et, me laissant aller à toute fantaisie, un moi fantastique très vieux, très expérimenté, et partant très désespéré.

Ce troisième état de mon moi supposé, le désespoir, était le seul vrai, et je pouvais, en me laissant aller à mes idées noires, me placer dans la situation du vieil oncle, du vieux voyageur que je faisais parler. Quant au cadre où je le faisais mouvoir, je n’en pouvais trouver de meilleur que le milieu où j’existais, puisque c’était l’impression de ce milieu sur moi-même que je voulais raconter et décrire.

En un mot, je voulais faire le propre roman