Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/383

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est, je le soutiens, de droit et de devoir, nous allons trop vite. Nous autres Français surtout, ardens et pressés à l’attaque du ciel comme à celle d’une redoute, nous ne savons pas planer lentement et monter peu à peu sur les ailes d’une philosophie patiente et d’une lente étude. Nous demandons la grâce sans humilité, c’est-à-dire la lumière, la sérénité, une certitude que rien ne trouble ; et quand notre faiblesse rencontre dans le moindre raisonnement des obstacles imprévus, nous voilà irrités et comme désespérés.

Ceci est l’histoire de ma vie, ma véritable histoire. Tout le reste n’en a été que l’accident et l’apparence. Une femme très supérieure dont je parlerai plus tard[1] m’écrivait dernièrement, en me parlant de Sainte-Beuve :

« Il a toujours été tourmenté des choses divines. » Le mot est beau et bon, et m’a résumé mon propre tourment. Hélas ! oui, c’est un calvaire que cette recherche de la vérité abstraite ; mais ç’a été un moindre tourment pour Sainte-Beuve que pour moi, j’en réponds ; car il était savant, et je n’ai jamais pu l’être, n’ayant ni temps, ni mémoire, ni facilité à comprendre la manière des autres. Or cette science des œuvres humaines n’est pas la lumière divine, elle n’en reçoit que de fugitifs reflets ; mais elle est un fil conducteur qui m’a manqué et qui me manquera tant que, forcée à vivre de

  1. Mme Hortense Allart.