Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/412

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m’en aller dès le matin, je m’en allais en effet, causant de lui et de la république sur la grande route avec mon Gaulois, et ne lui cachant pas que j’acceptais un bel aperçu de cet idéal, mais que j’avais besoin d’y réfléchir et de me reposer de ces torrens d’éloquence qu’il n’était pas dans ma nature de subir trop longtemps sans respirer.

Mais il ne dépendit pas de moi de respirer, en effet, l’air du matin et des pommiers en fleur. La béatitude de mes rêveries n’était pas du goût de mon compagnon de voyage. Il était organisé pour le combat et non pour la contemplation. Il voulait trouver sa certitude dans les luttes et dans les solutions successives de l’humanité. Il n’essayait pas de me prêcher après Éverard, mais il voulait se prêcher lui-même, commenter chacune des paroles du maître, accepter ou repousser ce qui lui avait paru faux ou juste, et comme lui-même était un esprit distingué et un cœur sincère, il ne me fût pas possible de ne pas parler d’Éverard, de politique et de philosophie pendant dix-huit lieues.

Éverard ne me laissa pas respirer davantage. À peine fus-je reposée de ma course, que je reçus à mon réveil une lettre enflammée du même souffle de prosélytisme qu’il semblait avoir épuisé dans notre veillée ambulatoire à travers les grands édifices blanchis par la lune et sur le pavé retentissant de la vieille cité endormie. C’était une écriture indéchiffrable d’abord, et comme torturée