Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/418

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Mais Éverard n’avait encore confié à personne et pas plus à moi qu’aux autres, sa doctrine ésotérique. Son expansion ne paralysait pas une grande prudence qui, en fait d’idées, allait quelquefois jusqu’à la ruse. Il se croyait en possession d’une certitude, et, sentant bien qu’elle dépassait la portée révolutionnaire de ses adeptes, il en insinuait tout doucement l’esprit et n’en révélait pas la lettre.

Pourtant certaines réticences, certaines contradictions m’avaient frappée, et je sentais en lui des lacunes ou des choses réservées qui échappaient aux autres et qui me tourmentaient. J’en parlais à Planet, qui n’y voyait pas plus avant que moi et qui, naïvement tourmenté aussi pour son compte, avait coutume de dire à tout propos, et même souvent à propos de bottes : « Mes amis, il est temps de poser la question sociale ! »

Il disait cela si drôlement, ce bon Planet, que sa proposition était toujours accueillie par des rires, et que son mot était passé chez nous en proverbe. On disait : « Allons poser la question sociale » pour dire : « Allons dîner ! » et quand quelque bavard venait nous ennuyer, on proposait de lui poser la question sociale pour la mettre en fuite.

Planet cependant avait raison ; même dans ses gaîtés excentriques, son bon sens allait toujours au fait.

Enfin, un soir que nous avions été au Théâtre-