Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/420

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l’air chargé de parfums printaniers, et que couvrait, à chaque instant, le roulement des voitures sur la place du Carroussel. Le quai désert du bord de l’eau, le silence et l’immobilité qui régnaient sur le pont contrastaient avec ces rumeurs confuses, avec cet invisible mouvement. J’étais tombée dans la rêverie, je n’écoutais plus le dialogue entamé, je ne me souciais plus de la question sociale, je jouissais de cette nuit charmante, de ces vagues mélodies, des doux reflets de la lune mêlés à ceux de la fête royale.

Je fus tirée de ma contemplation par la voix de Planet, qui disait auprès de moi :

« Ainsi, mon bon ami, vous vous inspirez du vieux Buonarotti, et vous iriez jusqu’au babouvisme ? — Quoi ? qu’est-ce ? leur dis-je tout étonnée. Vous voulez faire revivre cette vieillerie ? Vous avez laissé chez moi l’ouvrage de Buonarotti : je l’ai lu, c’est beau ; mais ces moyens empiriques pouvaient entrer dans le cœur désespéré des hommes de cette époque, au lendemain de la chute de Robespierre. Aujourd’hui, ils seraient insensés, et ce n’est pas par ces chemins-là qu’une époque civilisée peut vouloir marcher. — La civilisation ! s’écria Éverard courroucé et frappant de sa canne les balustrades sonores du pont ; oui ! voilà le grand mot des artistes ! La civilisation ! Moi, je vous dis que, pour rajeunir et renouveler votre société corrompue, il faut que ce beau fleuve soit rouge de sang, que ce palais