Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/428

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bateau sur la Seine, et quelquefois le long des boulevards jusque vers la Bastille, écoutant les propos, examinant les mouvemens de la foule, agitée et préoccupée aussi, mais pas autant qu’Éverard s’en était flatté en quittant la province.

Pour n’être pas remarquée comme femme seule avec tous ces hommes, je reprenais quelquefois mes habits de petit garçon, lesquels me permirent de pénétrer inaperçue à la fameuse séance du 20 mai au Luxembourg.

Dans ces promenades, Éverard marchait et parlait avec une animation fébrile, sans qu’il fût au pouvoir d’aucun de nous de le calmer et de le forcer à se ménager. En rentrant, il se trouvait mal, et nous avons passé souvent une partie de la nuit, Planet et moi, à l’aider à lutter contre une sorte d’agonie effrayante. Il était alors assiégé de visions lugubres ; courageux contre son mal, faible contre les images qu’on éveillait en lui, il nous suppliait de ne pas le laisser seul avec les spectres. Cela m’effrayait un peu moi-même. Planet, habitué à le voir ainsi, ne s’en inquiétait pas ; et quand il le voyait s’assoupir, il allait le mettre au lit, revenait causer avec moi dans la chambre voisine, bien bas pour ne pas l’éveiller dans son premier sommeil, et me ramenait chez moi quand il le sentait bien endormi. Au bout de trois ou quatre heures Éverard s’éveillait plus actif, plus vivant, plus fougueux chaque jour,