Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/439

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Quand je voulus lui répondre, pensant qu’il était dans la pièce voisine, où il se retirait quelquefois pour faire, tout à coup brisé, une sieste de cinq minutes, je m’aperçus qu’il était parti tout à fait et qu’il m’avait enfermée. Je cherchai la clef partout, il l’avait mise dans sa poche, et j’avais donné congé pour le reste de la journée à la femme qui me servait, et qui avait la seconde clef de l’appartement. J’attribuai ma captivité à une distraction d’Éverard, et je me remis à réfléchir tranquillement. Au bout de trois heures il revint me délivrer, et comme je lui signalais sa distraction :

« Non pas, me dit-il en riant, je l’ai fait exprès. J’étais attendu à une réunion, et, voyant que je ne t’avais pas encore convaincue, je t’ai mise au secret afin de te donner le temps de la réflexion. J’avais peur d’un coup de tête et de ne plus te retrouver à Paris ce soir. À présent que tu as réfléchi, voilà ta clef, la clef des champs ! Dois-je te dire adieu et aller dîner sans toi ?

— Non, lui répondis-je, j’avais tort ; je reste. Allons dîner et chercher quelque chose de mieux que Babeuf pour notre nourriture intellectuelle. »

J’ai rapporté cette longue conversation parce qu’elle raconte ma vie et celle de la vie d’un certain nombre de révolutionnaires à ce moment donné. Pendant cette phase du procès d’avril, le travail d’élucubration était partout dans nos rangs, parfois, savant et profond, parfois naïf et