Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/539

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la voilà comme elle était dans sa jeunesse, aussi aimable et presque aussi belle. »

C’était la vérité. Quand elle était un peu parée, et elle s’habillait à ravir, on la regardait encore passer sur le boulevard, incertain de son âge et frappé de la perfection de ses traits.

Au moment où, appelée par cette terrible nouvelle de la fin prochaine de ma mère, j’arrivais à Paris à la fin de juillet, les derniers bulletins m’avaient laissé pourtant grande espérance. J’accours, je descends l’escalier du boulevard, et je suis arrêtée par le marchand de fontaines, qui me dit :

« Mais madame Dupin n’est plus ici ! »

Je crus que c’était une manière de m’annoncer sa mort, et la fenêtre ouverte, que j’avais prise pour un bon augure, me revint à l’esprit comme le signe d’un éternel départ.

« Tranquillisez-vous, me dit cet homme, elle ne va pas plus mal. Elle a voulu aller se faire soigner dans une maison de santé pour avoir moins de bruit et un jardin. M. Pierret a dû vous l’écrire. »

La lettre de Pierret ne m’était pas parvenue. Je courus à l’adresse qu’on m’indiquait, m’imaginant trouver ma mère en convalescence, puisqu’elle se préoccupait de la jouissance d’un jardin.

Je la trouvai dans une affreuse petite chambre sans air, couchée sur un grabat et si changée que j’hésitai à la reconnaître : elle avait cent ans. Elle jeta ses bras à mon cou en me disant :

« Ah ! me voilà sauvée : tu m’apportes la vie ! »