Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/586

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risquer sa fortune, sa liberté et sa vie. D’ailleurs, l’oracle des temps modernes, c’est le peuple : Vox populi, vox Dei ; et c’est un oracle mystérieux et trompeur, qui ignore souvent lui-même d’où lui viennent ses transports et ses révélations. Mais, quelque difficile qu’il soit à pénétrer, le génie du conspirateur consiste à s’assurer de cet oracle.

Le conspirateur n’est donc pas à la hauteur de sa mission quand il manque de sagesse, de clairvoyance et de ce génie particulier qui devine l’issue nécessaire des événements. C’est une chose si grave de jeter un peuple, et même une petite fraction du peuple dans l’arène sanglante des révolutions, qu’il n’est pas permis de céder à l’instinct du sacrifice, à l’enthousiasme du martyre, aux illusions de la foi la plus pure et la plus sublime. La foi sert dans le domaine de la foi ; les miracles qu’elle produit ne sortent pas de ce domaine, et quand l’homme veut la porter dans celui des faits, elle ne suffit plus si elle reste à l’état de foi mystique. Il faut qu’elle soit éclairée des vives lumières, des lumières spéciales qu’exigent la connaissance et l’appréciation du fait même ; il faut qu’elle devienne la science, et une science aussi exacte que celle que Napoléon portait dans le destin des batailles.

Tout fut l’erreur des chefs de la Société des saisons. Ils comptèrent sur le miracle de la foi, sans tenir compte de la double lumière qui est