Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/131

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de fatigue : et cependant elle était bien faite, dégagée, d’une santé excellente, et d’une beauté fraîche et calme qui avait toutes les apparences de la force.

Elle marcha pourtant sans y songer, et si vite que Deschartres, dont le costume répondait au sien, avait peine à la suivre. Mais au passage du bateau, une futile circonstance pensa leur attirer de nouveaux malheurs. Le bateau se trouva plein de gens du peuple qui remarquèrent la blancheur du teint et des mains de ma grand’mère. Un brave volontaire de la république en fit tout haut la remarque. « Voilà, dit-il, une petite maman de bonne mine qui n’a pas travaillé souvent. » Deschartres, ombrageux et malhabile à se contenir, lui répondit par un : Qu’est-ce que cela te fait ? qui fut mal accueilli. En même temps une des femmes du bateau mit la main sur un paquet bleu qui sortait de la poche de Deschartres et l’élevant en l’air : « Voilà ! dit-elle, ce sont des aristocrates qui s’enfuient : si c’étaient des gens comme nous, ils ne brûleraient pas de la cire. » Et une autre continuant lestement l’inventaire des poches du pauvre pédagogue, y saisit un rouleau d’eau de Cologne qui attira aux deux fugitifs une grêle de quolibets inquiétans.

Ce bon Deschartres, qui, malgré sa rudesse, était rempli d’attentions délicates, trop délicates dans la circonstance, avait cru faire merveille en se précautionnant pour ma grand’mère, et à son