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besoin puéril chez l’homme et dangereux tout au moins chez l’artiste. Je dirai pourquoi je ne l’ai pas, et aussi pourquoi je vais pourtant écrire sur ma propre vie, comme si je l’avais, comme on mange par raison sans éprouver aucun appétit.

Je ne l’ai pas, parce que je me trouve arrivée à un âge de calme où ma personnalité n’a rien à gagner à se produire, et où je n’aspirerais qu’à la faire oublier, à l’oublier moi-même entièrement, si je ne suivais que mon instinct et si je ne consultais que mon goût. Je ne cherche plus le mot des énigmes qui ont tourmenté ma jeunesse, j’ai résolu en moi bien des problèmes qui m’empêchaient de dormir. On m’y a aidée, car à moi seule je n’aurais vraisemblablement rien éclairci.

Mon siècle a fait jaillir les étincelles de la vérité qu’il couve ; je les ai vues, et je sais où en sont les foyers principaux, cela me suffit. J’ai cherché jadis la lumière dans des faits de psychologie. C’était absurde. Quand j’ai compris que cette lumière était dans des principes, et que ses principes étaient en moi sans venir de moi, j’ai pu, sans trop d’effort ni de mérite, entrer dans le repos de l’esprit. Celui du cœur ne s’est point fait et ne se fera jamais. Pour ceux qui sont nés compatissans, il y aura toujours à aimer sur la terre, par conséquent à plaindre, à servir, à souffrir. Il ne faut donc point chercher l’ab-