Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/164

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

moi les patriotes et les beaux Titus, et qui ne se sentent pas du tout pressés d’aller rejoindre le drapeau.

« On croit peu ici à la paix, et Beaumont ne me conseille pas du tout d’y compter. M. de Latour-d’Auvergne m’a déjà pris en amitié. Il a dit à Beaumont qu’il aimait mon air calme, et qu’à la manière dont je lui avais répondu, il avait senti en moi un homme. Tu diras à cela, bonne mère, qu’il m’a vu dans mon beau moment ! mais, enfin, on peut avoir souvent de ces momens-là ; il ne faut que l’occasion. Notre fortune est renversée : faut-il pour cela nous laisser abattre ? N’est-il pas plus beau de s’élever sur ses propres revers, que de tomber, par sa faute, du faîte des hauteurs où le hasard vous avait placé ? Les commencemens de cette carrière ne peuvent paraître repoussans qu’à un esprit vulgaire ; mais toi, tu n’auras pas honte d’être la mère d’un brave soldat. Les armées sont très bien disciplinées maintenant. Les officiers sont tous gens de mérite, n’aie donc pas peur. Il ne s’agit pas d’aller se battre tout de suite, mais de passer quelque temps aux études du manége. Ce sera d’autant moins désagréable que tu m’en as fait apprendre plus, peut-être, qu’on n’en a à me montrer.

« Je n’ai pas besoin de me vanter de cela, mais je ne ferai point un apprentissage qui compromette mes os, ni qui apprête à rire aux assistans. Tu peux du moins être bien tranquille là-dessus.

Adieu, maman, donne-moi ton avis sur toutes mes réflexions, et songe que du chagrin de notre séparation peut résulter un grand bien pour nous deux. Adieu encore, ma bonne mère, je t’embrasse de toute mon ame.

« J’embrasse Deschartres et je l’engage à mettre un peu plus de colophane à son archet pour éviter les couacs et les riquiquis. Allons, ris donc, ma bonne mère ! » La vie des grands hommes modestes est inédite en grande partie.

Combien de mouvemens admirables n’ont eu pour témoins que Dieu et