Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/292

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cet instant, ce cœur naïf et bon, ouvert jusque-là à toutes les impressions extérieures, à une immense bienveillance, à une foi aveugle dans l’avenir, à une ambition qui n’a rien de personnel et qui s’identifie avec la gloire de la patrie, ce cœur qu’une seule affection presque passionnée, l’amour filial, avait rempli et conservé dans sa précieuse unité, fut partagé, c’est-à-dire déchiré par deux amours presque inconciliables. La mère, heureuse et fière, qui ne vivait que de cet amour, fut tourmentée et brisée par une jalousie naturelle au cœur de la femme, et qui fut d’autant plus inquiète et poignante, que l’amour maternel avait été l’unique passion de sa vie. À cette angoisse intérieure qu’elle ne s’avoua jamais, mais qui fut trop certaine et que toute autre femme eût fait naître en elle, se joignit l’amertume des préjugés froissés, préjugés respectables et sur lesquels je veux m’expliquer, avant d’aller plus loin.

Mais d’abord il faut dire que cette femme charmante que le jeune homme avait rêvée à Milan, et conquise à Asola, cette Française qui avait été en prison au couvent des Anglaises dans le même temps que ma grand’mère, n’était autre que ma mère, Sophie-Victoire-Antoinette Delaborde. Je lui donne ces trois noms de baptême parce que, dans le cours agité de sa vie, elle les porta successivement ; et ces trois noms sont eux-mêmes comme un symbole de l’esprit