Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/303

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Ce peu de mots était destiné à rassurer la pauvre mère. La captivité fut plus longue et plus dure que cette lettre ne l’annonçait. Pendant les deux mois qui s’écoulèrent sans qu’elle reçût aucune nouvelle de lui, ma grand’mère fut en proie à une de ces douleurs mornes que les hommes ne connaissent point et auxquelles ils ne pourraient survivre. L’organisation de la femme, sous ce rapport, est un prodige. On ne comprend pas une telle intensité de souffrance avec tant de force pour y résister. La pauvre mère n’eut pas un instant de sommeil et ne vécut que d’eau froide. La vue des alimens qu’on lui présentait lui arrachait des sanglots et presque des cris de désespoir. Mon fils meurt de faim ! disait-elle ; il expire peut-être en ce moment, et vous voulez que je puisse manger ? Elle ne voulait plus se coucher. « Mon fils couche par terre, disait-elle ; on ne lui donne peut-être pas une poignée de paille pour se coucher. Il a peut-être été pris blessé[1]. Il n’a pas un morceau de linge pour couvrir ses plaies. » La vue de sa chambre, de son fauteuil, de son feu, de tout le bien-être de sa vie, tout réveillait en elle les plus amères comparaisons ; son imagination lui exagérait les privations et les souffrances que son cher enfant pouvait endurer. Elle le voyait lié dans un cachot : elle le

  1. Elle ne se trompait pas, mais elle ne le sut jamais.