Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/477

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

triste réduit que pour aller quelquefois au théâtre dont ma mère avait le goût prononcé, ainsi que je l’avais déjà, et le plus souvent à Chaillot, où nous étions toujours reçues à grands cris de joie. Le voyage à pied et le passage par la pompe à feu me contrariaient bien d’abord : mais à peine me trouvais-je dans ce jardin, que je me croyais dans l’île enchantée de mes contes.

Clotilde, qui pouvait s’ébattre là au grand soleil toute la journée, était bien plus fraîche et plus enjouée que moi. Elle me faisait les honneurs de son Eden avec ce bon cœur et cette franche gaîté qui ne l’ont jamais abandonnée. Elle était certes la meilleure de nous deux, la mieux portante et la moins capricieuse ; aussi je l’adorais en dépit de quelques algarades que je provoquais toujours, et auxquelles elle répondait par des moqueries qui me mortifiaient un peu. Ainsi quand elle était mécontente de moi, elle jouait sur mon nom d’Aurore, et m’appelait Horreur, injure qui m’exaspérait. Mais pouvais-je bouder longtemps en face d’une charmille verte, et d’une terrasse toute bordée de pots de fleurs ? C’est là que j’ai vu les premiers fils de la Vierge, tout blancs et brillans au soleil d’automne : ma sœur y était ce jour-là, car ce fut elle qui m’expliqua doctement comme quoi la sainte Vierge filait elle-même ces jolis fils sur sa quenouille d’ivoire. Je n’osais pas les briser et je me faisais bien petite pour passer dessous.