Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/507

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qui veut emmener Mme Fontanier à la découverte : celle-ci, qui n’était ni aussi craintive, ni aussi brave, ne s’en souciait guère. Je me sentis alors prise d’un grand instinct de courage qui avait peu de mérite, puisque je n’avais pas compris pourquoi ma mère avait peur ; mais enfin, la voyant se lancer toute seule dans une expédition qui faisait reculer sa compagne, je m’attachai résolument à son jupon, et le jockey, qui était un drôle fort malin, n’ayant peur de quoi que ce soit, et se moquant de toutes gens et de toutes choses, nous suivit avec autre flambeau. Nous allâmes ainsi à la découverte, sur la pointe du pied, pour ne pas éveiller la méfiance des hôtes que nous entendions rire et causer dans la cuisine. Ma mère nous montra, en effet, la tache de sang auprès d’une porte où elle colla son oreille et son imagination était tellement excitée qu’elle crut entendre des gémissemens. « Je suis sûre, dit-elle au jockey, qu’il y a là quelque malheureux soldat français égorgé par ces méchans Espagnols, » et d’une main tremblante, mais résolue, elle ouvrit la porte et se trouva en présence de trois énormes cadavres… de porcs fraîchement assassinés pour la provision de la maison et la consommation des voyageurs.

Ma mère se mit à rire et revint se moquer de sa frayeur avec Mme Fontanier. Quant à moi, j’eus plus peur de la vue de ces cochons sanglans et ouverts, si vilainement pendus à la muraille