Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/554

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de ma grand’mère, mon père dit à ma mère : « Ce voyage d’Espagne nous aura été bien funeste, ma pauvre Sophie. Lorsque tu m’écrivais que tu voulais venir m’y rejoindre, et que je te suppliais de n’en rien faire, tu croyais voir là une preuve d’infidélité ou de refroidissement de ma part ; et moi, j’avais le pressentiment de quelque malheur. Qu’y avait-il de plus téméraire et de plus insensé que de courir ainsi, grosse à pleine ceinture, à travers tant de dangers, de privations, de souffrances et de terreurs de tous les instans ? C’est un miracle que tu y aies résisté ; c’est un miracle qu’Aurore soit vivante. Notre pauvre garçon n’eût peut-être pas été aveugle s’il était né à Paris. L’accoucheur de Madrid m’a expliqué que, par la position de l’enfant dans le sein de la mère, les deux poings fermés et appuyés contre les yeux, la longue pression qu’il a dû éprouver par ta propre position dans la voiture, avec ta fille souvent assise sur tes genoux, a nécessairement empêché les organes de la vue de se développer. » — « Tu me fais des reproches, maintenant, dit ma mère, il n’est plus temps. Je suis au désespoir. Quant au chirurgien, c’est un menteur et un scélérat. Je suis persuadée que je n’ai pas rêvé, quand je lui ai vu écraser les yeux de mon enfant. » Ils parlèrent longtemps de leur malheur, et peu à peu ma mère s’exalta beaucoup dans l’insomnie et dans les larmes. Elle ne voulait pas