Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/567

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que je couvrais de baisers ; j’entends ses cris déchirans. Elle était sourde aux miens et ne sentait pas mes caresses.

Deschartres lui dit : « Voyez donc cette enfant, et vivez pour elle. » Je ne sais plus ce qui se passa. Sans doute les cris et les larmes m’eurent bientôt brisée : l’enfance n’a pas la force de souffrir.

L’excès de la douleur et de l’épouvante m’anéantit et m’ôta le sentiment de tout ce qui se passait autour de moi. Je ne retrouve le souvenir qu’à dater de plusieurs jours après, lorsqu’on me mit des habits de deuil. Ce noir me fit une impression très vive. Je pleurai pour m’y soumettre ; j’avais porté cependant la robe et le voile noirs des Espagnoles, mais sans doute je n’avais jamais eu de bas noirs, car ces bas me causèrent une grande terreur. Je prétendis qu’on me mettait des jambes de mort, et il fallut que ma mère me montrât qu’elle en avait aussi. Je vis le même jour ma grand’mère, Deschartres, Hippolyte et toute la maison en deuil. Il fallut qu’on m’expliquât que c’était à cause de la mort de mon père, et je dis alors à ma mère une parole qui lui fit beaucoup de mal : Mon papa, lui dis-je, est donc encore mort aujourd’hui ?

J’avais pourtant compris la mort, mais apparemment je ne la croyais pas éternelle. Je ne pouvais me faire l’idée d’une séparation absolue, et je reprenais peu à peu mes jeux et ma gaîté avec l’insouciance de mon âge. De temps en